Que vive la paix !

10 novembre 2018

Quand j’étais enfant, mon père allait à la cérémonie du 11 novembre au monument aux morts de Roquemaure - qui est un bel édifice  ! Mais il ne m’a jamais emmené. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai jamais posé la question. Et, plus tard, jeune homme, je ne me sentais pas concerné par cette cérémonie d’anciens combattants. C’est ainsi qu’il a fallu que je sois curé de village pour en découvrir la réalité. C’était à Piolenc. J’avais alors quarante ans.

J’ai été extrêmement impressionné. D’abord par la procession conduisant de la mairie, qui est au bas de l’église, aux monuments aux morts sur le cours qui enserre le village. Il y avait beaucoup de monde, des vieux et des enfants, des hommes et des femmes, des drapeaux et des écharpes tricolores. Il y a eu les discours d’usage, qui, toujours évoquent le «  sacrifice  » des combattants et prônent la paix entre les nations - en particulier les nations européennes. Mais, ce qui m’a bouleversé, c’est la liste, complète, exhaustive, des noms de ceux qui sont morts à la guerre entre 1914 et 1918.

On est toujours impressionné par cette liste, inscrite dans nos églises. Par curiosité, on repère des noms. Des prénoms que l’on ne porte plus, mais surtout les noms de famille qui reviennent en grappe. Des frères, des cousins. Mais, entendre cette liste comme on entend une litanie est autre chose. A chaque nom, on se dit : «  C’est le dernier  », mais non  ! Il y en a encore et encore. Ca n’en finit pas.

Je me suis représenté curé de Piolenc à cette époque, allant voir les mères et les pères - la paix c’est quand les fils enterrent les pères, la guerre c’est quand les pères enterrent les fils - allant voir les mères et les pères, allant voir les veuves, de jeunes veuves : elles avaient vingt ans ou un plus, et, aussi, les enfants encore petits et comprenant sans comprendre. Ils savaient qu’il y avait la guerre, mais ils ne comprenaient pas quand on leur disait : «  Papa ne reviendra pas  ». Il y avait aussi les frères, plus jeunes ou plus âgés, qui, eux, étaient restés, et les sœurs.

Cela m’a fait relire des récits et, surtout, de la correspondance. Les poilus n’entraient pas dans les détails et ils disaient leur souffrance avec pudeur. Mais au travers de ces lignes simples, écrites par des gens du peuple - ceux auxquels les instituteurs de la IIIe République avaient appris à lire et à écrire - on voit le tragique en direct.

On parle des «  héros de la Grande Guerre  ». Et certes il y a eu beaucoup d’héroïsme. On peut dire que ces hommes ont donné leur vie. Mais, il faut dire aussi que ces héros ont été des victimes, qu’on a pris leur vie.

Toute cette jeunesse européenne - car, pour nous aujourd’hui il n’y a pas de différence entre les jeunes français morts au front et les jeunes allemands envoyés à la guerre par un pouvoir impérialiste – cette jeunesse de la Belle époque, fauchée comme blé à peine mûr, trahie dans son espérance de vivre et d’aimer, cette génération sacrifiée par la folie des hommes.

Deux hommes avaient entrevu la tuerie, la barbarie, qui allait ravager l’Europe : Jaurès, un socialiste français, que l’on a assassiné, et le Pape Benoît XV, qui ne cessa d’appeler, en vain, à la paix. Car, en 1914, quand on mobilise et que l’on part la fleur au fusil, nul n’imagine la tragédie, personne ne pense à un conflit de quatre années, aux millions de morts, aux millions de blessés et handicapés à vie, à cette immense souffrance qui commence. L’inconscience et l’irresponsabilité des dirigeants est totale.

Alors, une fois le conflit engagé, embourbé dans la boue des tranchées, à Verdun ou sur la Somme, il faudra aller jusqu’au bout, jusqu’à la victoire. Le 11 novembre 1918 tous les clochers de France carillonnent. On acclame Clémenceau, le «  Père la Victoire  ». Mais, la joie de la victoire est imprégnée, au plus profond, de tristesse : trop de morts, trop de souffrances. Et cela laissera la France incapable de réagir contre la montée du nazisme et une seconde guerre mondiale, inéluctable. Il y aura la terrible humiliation de juin 1940.

Bien entendu il faudrait pousser bien plus loin l’analyse. Mais, ce que je viens de rappeler, qui est un acte de mémoire - un «  mémorial  » - nous oblige. Nous ne pouvons prendre aucun risque  ! La machine infernale qui conduit à la guerre peut se remettre en route si on laisse le discours de la haine l’emporter durablement, et en toute circonstance, sur le discours de l’entente, si le mensonge l’emporte tous les jours sur la vérité, si la démocratie est sans cesse attaquée et moquée.

Soyons conscients de la dangerosité des médias actuels, je précise : de certains médias, et, tout particulièrement, des réseaux sociaux où, systématiquement, on utilise le mensonge et la diffamation, où l’on pratique une indignation de simple posture. Où tout de suite une affaire minime prend la dimension d’une catastrophe. Et où les dénonceurs sont généralement bien pires que ceux qu’ils dénoncent. Il y a des valeurs à défendre et des comportements à récuser.

Nous chrétiens, catholiques, qui aimons notre patrie, la France, nous savons, parce que nous portons la vocation de l’universel, que l’exaltation inconsidérée de la nation, le nationalisme qui est exaltation d’une nation contre les autres – nous savons que le nationalisme, qui n’a rien à voir avec le sens de la patrie, est un ennemi très dangereux. Sachons opposer aux discours de la haine la paix, aux paroles de violence le dialogue, à l’arrogance la confiance. Oui, cela est le message chrétien, le message qui vient de Jésus. Que vive la paix  ! Amen.