Homélie du Père Doumas

11 janvier 2022

Homélie du dimanche 9 janvier 2022. Fête du baptême du Seigneur.

Les trois synoptiques : Matthieu, Marc et Luc racontent le baptême de Jésus par Jean-Baptiste. Le quatrième évangile, s’il insiste sur le témoignage de Jean sur Jésus, ignore le baptême de Jésus par le baptiste.

Le récit est très semblable entre les trois synoptiques. Cependant, chacun, par des détails, qui apparemment sont secondaires, infléchit le sens de l’événement dans une direction bien particulière. Je ne vais pas faire une analyse détaillée des trois, mais, puisque nous lisons le récit de Luc, je pointe sur ce qu’il a d’original.

Luc affirme que « tout le peuple se faisait baptiser ». Assurément, il y a là une forte exagération. Sans doute Jean a sur attirer les foules, mais pas tout le monde ! Mais, Luc n’amplifie pas les choses sur un plan seulement quantitatif. Il fait de la théologie. Il affirme le baptême du peuple et, ensuite, celui de Jésus. Au point que le baptême de Jésus apparaît comme le point final de l’activité baptiste de Jean. Son point final et, aussi, son achèvement, son accomplissement. L’idée est que le baptême de Jésus fait basculer dans autre chose.

De fait, il nous est dit que le ciel s’ouvre, que l’Esprit descend sur Jésus et qu’il lui est dit qu’il est « le Fils bien-aimé ». Evidemment, c’est Dieu qui parle. Les exégètes parlent de « théophanie » et c’est pour cela que le baptême de Jésus clôture le temps de Noël et de l’épiphanie, le temps de la « manifestation ».Mais, si le ciel s’ouvre, c’est qu’il était fermé et donc une ère nouvelle commence, celle de l’évangile, celle où Jésus révèle le dessein du Père : rassembler tous les hommes dans un seul Peuple, qui sera l’Eglise.

On pourrait développer cela, mais un détail du texte de Luc : Matthieu et Marc ne le mentionne pas, est de grande portée. Luc écrit : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit ». Ainsi, dans l’évangile de Luc, l’ouverture du ciel est précédée de la prière de Jésus. Dans le récit, c’est un détail, une simple incise, mais au niveau du sens cela est capital. D’autant que c’est la première mention, depuis le commencement de l’évangile, de la prière de Jésus. Il y en aura d’autres.

On peut déjà penser au « spectacle » de Jésus en prière. Ce devait être très impressionnant et, de fait, cela a frappé les disciples qui lui demanderont une prière. Ce sera le Notre Père. On imagine le visage de Jésus, très lumineux, rayonnant et ses yeux clos, mais sans crispation. On imagine aussi son corps. Soit prosterné comme ce sera à Gethsémani, soit très droit, quand il rend grâces.

Dans l’Antiquité, comme pour la lecture, la prière, sans se faire à haute voix, ne se faisait pas en silence, mais à voix basse. C’est ainsi que l’on sait que Jésus s’adressait à son Père en lui disant abba, c’est-à-dire, en araméen, « papa ». Un mot qu’aucun juif n’aurait employé pour s’adresser à Dieu, car pour les Juifs si Dieu peut être dit « Père », il est essentiellement le Seigneur, le Tout-Puissant. A la fois le créateur du monde et l’auteur de la Loi, transmise par Moïse.

Dans les religions, très souvent, la prière n’est que récitation de prières. Ainsi, la prière peut être très formelle, très rituelle. On peut rester très extérieur à ce qu’on dit. Ce sont des formules. En tout cas, la prière n’est qu’un face à face avec Dieu. Il est là, dans sa majesté, et moi je suis « devant » lui, debout ou prosterné, peu importe, en sorte qu’il est Dieu et que moi, sa créature, je ne suis qu’un homme.

Avec Jésus, on entre dans autre chose. On passe du vis-à-vis à l’intimité. Et tout est dans la relation, qui est, alors, vivante et saisit tout l’être. En disant « abba », Jésus est dans l’intimité de son Père. Il n’y a pas seulement communication, comme lorsqu’on dit les mots d’une prière, mais communion, cœur à cœur.

Toute l’identité de Jésus est là. Il est le Fils bien aimé, en qui Dieu trouve sa joie ! Il n’y a pas eu de commencement à cela. Ni du point de vue de l’éternité : l’engendrement du Fils n’est pas consécutif à une gestation, il est immédiat et éternel. Ni du point de vue de l’incarnation : il n’y a pas eu un moment où Jésus est devenu Fils de Dieu ; il est né Fils de Dieu. En Jésus, l’enfant de Nazareth et de Bethléem, le Fils de Dieu se fait homme, devient homme. Ce n’est pas un homme qui devient Dieu, mais Dieu qui devient un homme.

Par ailleurs, il y a bien eu prise de conscience de Jésus de cette réalité. Exactement comme chacun de nous a pris peu à peu conscience de ce qu’il est depuis son origine. Cependant, il faut insister sur le fait que la conscience est précédée d’un acte plus intérieur. La maman parle à son bébé. Elle lui dit qu’elle l’aime. Le bébé ne comprend pas les paroles et il est rare qu’il lui dise : « Maman, j’ai faim. Donne-moi à téter ! » Mais si le bébé ne comprend pas les mots de la maman, il accueille au profond de lui son amour. Il en est allé ainsi de Jésus avec son Père. Les paroles entendues au baptême, alors qu’il est adulte, ont été accueillies par lui dès son origine.

Vraiment j’aimerais développer cela et même vous expliquer comment l’Eglise a su expliciter la révélation transmise par les apôtres. Le moment décisif a été le IVe, avec les conciles de Nicée et plus tard celui de Constantinople, mais il s’agirait alors d’un cours ou d’une conférence, et plus d’une homélie.

Retenons qu’au moment où « après avoir été baptisé », Jésus priait il entend la voix qui depuis son origine lui dit, à l’intime de lui-même : « Tu es mon Fils bien-aimé. En toi je trouve ma joie ». Et vivons de cette joie. Car, par notre baptême, nous aussi, nous sommes fils de Dieu. Amen.