Homélie du Père Doumas

25 avril 2021

Les récits d’apparition pascale sont très différents les uns des autres. Chaque évangéliste a sa manière de rédiger. C’est ainsi que Matthieu ne parle pas de l’apparence du Ressuscité. Il note même, très brièvement : « certains eurent des doutes ». A l’inverse Luc insiste. Il met en scène la « frayeur et la crainte des disciples » qui pensent voir un esprit, et il fait dire à Jésus : « Voyez mes mains et mes pieds » - en précisant : « un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Et il ajoute que Jésus mange un morceau de poisson. En fait, si Luc insiste sur la réalité du corps du Ressuscité l’accent est sur la Parole : « Il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Ecritures ».

Il est vain de vouloir reconstituer ce qu’était le corps de Jésus ressuscité. Nécessairement, il échappe aux réalités ordinaires. Et, en fait, l’essentiel est que les disciples ont constaté que Jésus était vivant. Ils en ont eu une expérience directe et probante et c’est ainsi qu’ils sont institués « témoins ». Le récit que nous avons lu se conclut ainsi : « A vous d’en être les témoins ».

De fait les disciples vont témoigner. Avant Pentecôte, la nouvelle a circulé dans le groupe des disciples et sans doute il y a eu des expériences diverses avec le Ressuscité. On en a un écho dans le célèbre passage de la lettre aux Corinthiens : « Il est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures. Il est apparu à Pierre, puis aux Douze et ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois - la plupart sont encore vivants et quelques uns sont endormis dans la mort -, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. »

Le mot français « apparition » est ambigu. Il peut être associé à l’idée que celui qui a une apparition en est la cause. Mais, en grec, le terme est : « se faire voir ». Littéralement, Jésus se fait voir. Pour ainsi dire il s’impose et on ne peut pas ne pas le voir. Le voir et l’entendre ! Car, le Ressuscité, s’il est visible, parle aussi ! Et en fait c’est toute une convivialité qui a été vécue avec lui. « Nous avons mangé avec lui », diront les disciples.

Il y a eu une première phase où Jésus s’est montré vivant au groupe des disciples et c’est ainsi que la nouvelle de sa résurrection a circulé. Mais est venu le moment où la nouvelle est sortie du cercle des disciples. Elle s’est, alors, répandue partout. Cela a commencé à Pentecôte, cinquante jours après Pâques. Et cela ne s’est pas arrêté.

Séjournant à Rome, Pierre sera arrêté et il sera martyr dans le cirque de Néron, au flanc de la colline du Vatican, où sera sa sépulture. Le témoin a témoigné jusqu’à donner sa vie. Il a attesté la résurrection de son maître dans sa mort !

En fait, le témoignage des disciples ne s’ajoute pas à l’événement de la Résurrection. Il n’est pas un simple après, une conséquence ou une suite. Le témoignage des disciples fait corps avec la résurrection. Une résurrection muette, sans témoin et sans annonce, cela n’a pas de sens ! On en est spontanément convaincu. Mais cela s’adresse à nous très directement.

Certes, il y a eu un premier moment où l’annonce de la Résurrection est restée pour ainsi confidentielle ; elle a circulé dans le seul groupe des disciples. Mais est venu l’événement, capital, de l’annonce à tous. Et nous faisions partie de ce « tous » ! C’est pourquoi je reviens sur le fait qu’aujourd’hui dans notre France du début du troisième millénaire nous sommes, nous les chrétiens, terriblement discrets, à peine audibles ! Presque muets !

Souvent j’entends : « Nos églises se vident. Il n’y a plus que des vieux ! » Ce n’est pas complétement vrai. Mais, c’est en grande partie vrai. Et je constate, jusque dans ma propre famille, combien la foi se perd. La génération de mes parents était pleinement chrétienne, la mienne, celle de mes cousins, reste profondément marquée par la foi, mais beaucoup ont abandonné toute pratique. Le grave est avec leurs enfants, souvent baptisés, mais sans catéchèse et, à la génération suivante, les enfants des enfants, ne sont même pas baptisés.

D’où cela vient-il ? On ne peut pas répondre en trois mots à une telle question. Les causes sont multiples et complexes. Certains accusent les médias. Certes, on ne peut pas dire qu’ils sont très favorables à la foi. Mais, ce n’est qu’un aspect des choses, et somme toute secondaire. Je crois que la cause profonde est dans les changements des modes de vie, qui induisent des changements de compréhension de la vie. Mais, si le contexte est devenu difficile, on ne peut pas ne pas constater que l’annonce elle-même a beaucoup faibli.

Je me dis que les chrétiens sont les plus farouches partisans de la laïcité. Pour eux, la foi ne peut être que du domaine privé, quelque chose de strictement personnel et que, donc l’on garde pour soi. Sans doute un trésor, mais un trésor égoïste : pour moi ! Mais, quelle est l’origine de ce comportement ? Pas nécessairement un manque de conviction ! Mais, très certainement une conviction qui n’intègre pas l’impératif de l’annonce. Comme si l’annonce ne faisait pas partie du Mystère même de la Résurrection !

Je ne suis pas sûr que ce soit un manque de courage. Je crois, bien plus, que c’est un manque d’imagination. Plus exactement un manque de savoir-faire. Nous avons désappris l’annonce de la foi. Nous avons le sentiment que nous n’avons plus le « biais », l’à-propos, mais aussi le contenu du propos. Nous avons perdu, non la foi, mais les mots !

Il nous faut réapprendre à dire. Pour cela il faut oser. Il nous faut reprendre la parole. Cela ne sera pas immédiatement un succès, mais peu à peu l’expérience nous apprendra à dire.

J’ai tout à fait ce sentiment pour moi-même. Ayant pris conscience de cela, je me suis efforcé, ces dernières années, à des formulations plus directes, plus incisives, et j’ai pu vérifier que si cela ne convertissait pas les gens, cela les touchait et que cela faisait bouger des choses.

En fait, souvent, j’ai le sentiment de faire monter deux, trois, quatre marches de l’escalier de la foi. Le difficile est de faire changer de palier ! Et tant que cela n’est pas fait les risques de retour en arrière sont très importants. On redescend les marches aussi vite qu’ont les a montées ! Il faut donc continuer l’effort.

C’est un effort, très concret. Un effort de paroles. Les mots, les formules comptent. Certes, cela n’est pas, à soi seul, décisif, mais sans cela rien ne se passera. Car, si le décisif c’est le cœur de celui auquel on s’adresse - et nul n’en est le maître - c’est parce qu’on a parlé que les choses dites peuvent toucher le cœur.

Dimanche dernier, j’avais commencé cette exhortation à parler. Aujourd’hui, je poise un jalon important dans la réflexion. J’y reviendrai encore dimanche prochain ! Amen.