Homélie du Père Doumas : Le pardon

12 septembre 2020

Le pardon est un des marqueurs majeurs du christianisme. Il ne serait pas exagéré de dire que le christianisme est la religion du pardon. La réponse de Jésus à Pierre et la parabole qui vient tout de suite après en sont des témoins forts. Il y a, aussi bien sûr, la demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Cependant, ce n’est pas une question simple, et il n’est simple ni de pardonner, ni de recevoir le pardon.

Souvent on dit « pardonner » n’équivaut pas à oublier. C’est vrai. Car si l’on peut décider de pardonner, peut-on décider d’oublier ? En réalité, un événement, une parole vont rester dans nos mémoires et même si on n’y pense pas souvent, cela ne s’efface pas, cela demeure. C’est là une expérience très commune.

Je crois qu’on peut définir le pardon comme le moment où l’on n’éprouve plus de ressentiment par rapport à celui ou celle qui nous a blessé ou lésé. De fait, quand on est blessé ou lésé, on éprouve spontanément, naturellement, un ressentiment vis-à-vis de l’auteur de la blessure ou du préjudice. En lui-même ce premier réflexe n’est pas un péché. C’est, précisément, un réflexe, quelque chose d’immédiat et d’incontrôlable. Là où commence le péché c’est lorsqu’on ne cherche pas à surmonter le ressentiment. A fortiori lorsqu’on le cultive. Et plus encore quand notre comportement devient vindicatif. Quand on veut faire « payer » l’autre. La vengeance est le contraire même du pardon.

Comment le désir de surmonter le ressentiment peut-il venir en nous ? C’est, je crois, la première, et fondamentale, question à se poser.

Le désir de pardonner, le plus souvent, vient de l’amour que l’on a pour la personne qui nous a blessés. Une maman pardonne à son enfant. Elle aime son enfant et elle ne veut pas avoir de mauvais sentiments envers lui, elle ne veut que l’aimer. J’ai une amie que son fils a souvent blessée, profondément et très injustement, mais elle aime son fils et elle pardonne. Souvent, j’ai été très profondément bouleversé par son attitude, qu’il m’est arrivé de juger « extrême ».

Mais on peut être blessé ou lésé par une personne pour laquelle on n’éprouve pas véritablement de l’amour, ni même de l’amitié. Et là le désir de pardonner a besoin du relais de la volonté. Pardonner apparaît, alors, comme une nécessité morale. Elle peut même avoir une dimension sociale. De fait, si, en société, il n’y a pas de pardon, les relations humaines seront difficiles. Le pardon devient le moyen de continuer à vivre ensemble.

Le pardon est souvent un acte tout intérieur et même secret. On pardonne, mais on ne le dit pas à la personne que l’on pardonne. Cependant, il arrive que l’on dise : « Je te pardonne ». En vérité, c’est très délicat. On évite, difficilement, dans cette situation-là, la condescendance et l’autre peut se sentir humilié d’entendre : « Je te pardonne ». Je recommande en ce domaine la plus grande prudence. Et toujours beaucoup de délicatesse.

Dans cette ligne, j’ajoute un point, très important à mes yeux. Il y a le pardon et la réconciliation. Ce n’est pas la même chose. Certes, en soi, l’idéal est la réconciliation. On retrouve, alors, l’harmonie qui régnait avant la blessure ou le préjudice. Mais, souvent, il vaut mieux s’en tenir au seul pardon, c’est-à-dire à l’acte intérieur qui élimine tout ressentiment. Vouloir, à toutes forces, la réconciliation peut être dangereux et, en fait, relancer le conflit et même l’aggraver. Car, le pardon en tant qu’il est l’acte par lequel j’élimine en moi le ressentiment est un acte personnel, alors que la réconciliation est un acte réciproque. Or la réciprocité est ce qu’il y a de plus incertain dans ces situations.

Il faudrait aller bien plus loin dans la réflexion, mais je tiens à aborder la question du pardon avec Dieu.

Il y aurait une question délicate et complexe, celle de l’homme qui « pardonne » à Dieu. Certes, Dieu ne nous veut pas du mal et Dieu ne nous fait pas de mal. Mais quand on perd un être cher dans un accident ou à cause d’une maladie, on en veut à Dieu et il peut venir un moment où l’on surmonte cela avec le sentiment qu’on lui « pardonne ». Il faudra qu’un jour je revienne là-dessus. Aujourd’hui j’examine le pardon que Dieu nous donne.

Je disais tout à l’heure que, spontanément, naturellement, nous éprouvons du ressentiment lorsqu’une personne nous blesse ou nous lèse. Mais, Dieu ? Dieu est-il accessible au ressentiment ? Je ne le crois pas. Et paradoxalement, de ce point de vue, il ne pardonne pas, puisqu’il n’a pas à surmonter le ressentiment. En fait, le désir immédiat de Dieu devant l’homme qui commet le mal, c’est que l’homme change son comportement, se convertisse, se tourne vers lui. Et, donc, avant même de donner son pardon Dieu suscite dans le cœur de l’homme le désir du pardon.

Quand Dieu pardonne, il ne se laisse pas fléchir, comme s’il lui fallait remonter la pente du ressentiment, il accueille les bras ouverts celui qui revient vers lui - exactement comme le père de la parabole accueille le fils prodigue. Et quand il pardonne, il pardonne généreusement, son pardon est débordant.

Sans doute plusieurs d’entre vous m’ont déjà entendu raconter ma parabole sur le champagne et le coca-cola. Je la raconte à nouveau ! Je demande à un enfant s’il aime le coca-cola. Généralement il répond oui. Je lui dis alors que j’aime bien le coca-cola, mais que je préfère le champagne. Et puis je souligne qu’il y a une ressemblance entre les deux : si l’on verse trop fort, le champagne ou le coca-cola, il y a beaucoup de mousse et ça déborde. Et, donc, il faut verser, assez doucement, sur l’intérieur du verre, et on remplit le verre. Et ça ne déborde pas. Quand j’ai dit ça, je marque un temps d’arrêt et j’ajoute : « Mais, avec Jésus, quand il verse la miséricorde, ça déborde toujours ! »

Le pardon de Jésus est débordant, mais il est, aussi, transformant. Le Seigneur ne se contente pas d’effacer les péchés. Il ne se contente pas de laver plus blanc que blanc ! Il touche notre cœur et le transforme. Par son pardon, il nous rend, à nouveau, capables d’aimer. Et dans la confession l’essentiel est de préparer son cœur à accueillir le pardon du Seigneur.

J’ai une deuxième parabole ! Les paysans labourent la terre pour que, lorsque la pluie arrive, l’eau pénètre en profondeur et rende la terre féconde. Nous aussi nous avons à labourer notre cœur, à le disposer pour accueillir le pardon de Dieu, qui, alors, sera fécond.

Frères et sœurs, pardonner ou recevoir le pardon sont des expériences qui exigent beaucoup de profondeur, de vérité intérieure. C’est ce qui était catastrophique dans les confessions d’antan. Cela n’avait aucune profondeur. On récitait les péchés et le prêtre récitait l’absolution. Et puis on récitait la pénitence. Mais, le plus souvent, cela n’avait aucune vérité, c’était terriblement superficiel et ma conviction est que c’est cela qui a réduit la pratique de la confession. Cela n’apportait rien !

Je conclus en disant : sachons nous mettre en vérité devant le Seigneur. On peut se mentir à soi-même, mais on ne ment pas au Seigneur ! Amen.