Homélie du Père Doumas

27 février 2021

Chaque année, au deuxième dimanche de carême, nous lisons le récit de la Transfiguration : une année chez Matthieu, une année chez Marc, une année chez Luc ; Jean ignore ce récit. Les différences entre les trois évangélistes ne sont pas importantes et dans cette homélie je vais les négliger. Je préfère concentrer la réflexion sur ce qui au cœur du texte. Bien sûr, pour une part essentielle, cet épisode est une annonce de la Passion et de la Résurrection de Jésus. Mais, la question centrale est celle de l’identité de Jésus.

Les religions ont, généralement, un fondateur. C’est très clair avec l’islam, moins avec le judaïsme. Mais les fondateurs ne jouent pas un rôle équivalent selon les religions. Si important que soit le Prophète, son identité n’est pas le décisif de la foi pour les musulmans. Il est, bien sûr, le prophète ! En fait le dernier, celui qui vient rappeler ce qui a été révélé avant lui par Moïse et Jésus, mais s’il est considéré comme saint il n’est qu’un homme et la confession de foi porte sur Dieu, le Dieu unique, qui communique à Mahomet le Coran. Dans l’islam, Mahomet est, simplement, l’intermédiaire de Dieu. Il en va tout autrement de Jésus dans le christianisme.

Il est caractéristique que l’islam est désigné par l’attitude religieuse qui le définit : l’obéissance à Dieu - « islam » signifie soumission à la volonté divine. Alors que le mot « christianisme » renvoie directement à Jésus : Jésus, le Christ.

Le comportement de Jésus, ses paroles, aussi bien les simples répliques que les récits de paraboles ou les discours, tout en lui suscite la question : « Mais qui est-il donc ? »

Etre chrétien, c’est donner une réponse de foi à cette question. Bien sûr, on peut se contenter de dire qu’il a été un homme remarquable, d’une religiosité originale, et même révolutionnaire, et qu’il a su entraîner à sa suite des hommes et des femmes qui ont tout quitté pour lui. On peut se contenter de cela. Et, certes, il faut commencer par là. Mais, si l’on veut être un tant soit peu fidèle à l’annonce même de Jésus, il faut aller plus loin.

Au travers des prophètes, l’Ancien Testament annonçait des figures à venir. Il y avait, tout particulièrement, celle du Messie. D’une manière générale, il était compris comme « Fils de David », c’est-à-dire comme le roi qui allait rétablir Israël dans son indépendance et sa prospérité. Il serait, aussi, un roi de justice et de paix.

On a donné ce titre à Jésus et il porte le nom de « Christ », qui est la traduction grecque du mot hébreu, « messie ». Pourtant, dans l’évangile, Jésus prend ses distances avec le titre. Dans l’évangile de Jean, il se retire au désert parce que les foules veulent le faire roi. Et il dira clairement à Pilate que son royaume n’est pas de ce monde.

En fait, s’il y a eu ministère de Jésus, si interpellant, il y a eu, de manière plus décisive encore, sa mort et sa résurrection. Et c’est là que tout a basculé.

Affirmer la Résurrection de Jésus, ce n’est pas seulement dire qu’un homme est revenu à la vie. C’est, en fait, dire que « sorti du Père », il est « revenu au Père ». Autrement dit, on affirme une préexistence de Jésus avant ce qui va, donc, être son « incarnation » et que cette préexistence était celle d’être le « Fils de Dieu ». Et s’il est le Fils de Dieu, il est Dieu !

Il faut insister sur le fait que la Résurrection est révélation de l’identité de Jésus. Elle est l’événement qui montre qui il est. Certes, nous disons qu’il était mort, et qu’ensuite il s’est montré vivant. Mais, Jésus n’est pas Lazare. Il faut dire qu’il revient à la vie, mais s’en tenir là c’est se fourvoyer. Dès les premiers témoignages, il est dit que Jésus entre dans la gloire, qu’il est « exalté ». L’expression ordinaire est qu’il est « assis à la droite de Dieu ». Assis, cela signifie qu’il est l’égal de Dieu et qu’il est à sa droite dit qu’il est son Fils.

Ces affirmations sont complètement révolutionnaires. Quand Moïse reçoit les tables de la Loi au Mont Sinaï ou quand Mahomet dicte le Coran qui lui est dicté, les relations entre Dieu et l’homme demeurent celles de toujours : un Créateur qui dit à sa créature ce qu’elle doit faire pour être récompensé et ce qu’il lui faut éviter pour être punie. Mais, si Jésus est le Fils de Dieu, s’il préexiste, si donc il prend chair, s’il s’« incarne », et si par sa Passion et sa Résurrection il est le Sauveur - alors ! tout est transformé. Nous ne sommes plus dans un simple vis-à-vis par rapport à Dieu, nous sommes introduits dans une dynamique entièrement nouvelle qui conduit l’homme à participer à la vie même de Dieu.

Cela renvoie, nécessairement, à l’expérience intérieure, à l’expérience du cœur. Nous ne vivrons pas notre religion par l’extérieur, par le vestimentaire ou l’alimentaire, et pas même par la seule obligation morale ou la récitation de prières. Il y a aura un moment décisif où nous nous donnerons à Dieu, qui se donne à nous ! C’est dans ce basculement que se vit la foi chrétienne.

Que ce carême nous fasse réaliser toujours plus cette réalité spirituelle, ce basculement dans l’amour. Amen.