Homélie pour les chorégies

30 juin 2020

Homélie pour les Chorégies

Dans cette homélie du seuil du mois de juillet, je vais évoquer la « culture ». Je le fais en partant du texte d’évangile que nous venons de lire.

Quand Jésus déclare : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits », quand, donc, il met les « tout-petits » en haut et « les sages et les savants » en bas, fait-il l éloge de l’inculture, fait-il le procès de la culture ? Ce serait vrai s’il fallait assimiler les « tout-petits » aux incultes. Mais, cela est très étranger à la Bible. Dans la Bible, les « tout-petits » sont les humbles, ceux qui reconnaissent que Dieu est source de vie - et non pas ceux qui sont sans culture, sans expérience de la vie.

Cependant, il y a bel et bien dans la proclamation de Jésus une critique des « intellectuels », désignés sous le terme de « sages » et de « savants ». Mais, là aussi, il faut savoir comment parle la Bible. Dans la Bible, les « sages » et les « savants », ce ne sont pas ce que les Grecs appellent les « philosophes » et nous, modernes, les « scientifiques ». Les « sages » et les « savants », dans la Bible, ce sont les spécialistes de la Loi, ceux qui sont habilités, aux yeux des hommes, à interpréter le texte biblique et la volonté divine, autrement dit : les scribes. Jésus n’oppose donc pas la connaissance à l’inculture. Mais, il souligne que pour accueillir la révélation du Père il faut avoir le cœur ouvert et humble et ne pas prétendre savoir déjà, comme à l’avance, ce que Dieu va dire ou, pire, ce que Dieu doit dire - au nom d’un savoir théologique ou exégétique tout humain.

Mais le cœur ouvert et humble, le cœur du « tout petit », n’est pas un cœur vide, un cœur sans rien. Bien au contraire ! le cœur du « tout petit » est habité de confiance et d’amour. C’est un cœur plein ! Et ce « plein » est une connaissance, un vrai savoir de l’homme et de la vie. En vérité, le « tout-petit » connaît l’homme - comme dit l’évangile : « il sait ce qu’il y a dans l’homme ». Et je crois que la culture, l’authentique culture, c’est cela : la connaissance du cœur humain. Si Shakespeare, Mozart, Rubens ou Rodin sont des grands de la culture, c’est parce qu’ils savaient ce qu’il y a dans le coeur humain et ont su l’exprimer.

Tout ceci, il me fallait le dire pour éviter les contre-sens. Mais, si le texte biblique emploie des mots qui ont un sens - un sens biblique, il y a, aussi, une « musique » du texte. Ici, on pourrait parler de l’intonation de Jésus. Et incontestablement, dans l’intonation de Jésus, qui valorise les « tout-petits au détriment des « sages » et des « savants », il y a une dénonciation de toute prétention élitiste. Et cela me donne l’occasion de plaider pour une culture accessible à tous.

Je ne parle pas seulement de l’aspect financier. Je vise le caractère quasi ésotérique que prend trop souvent la production contemporaine. Quand vous allez dans une exposition d’art contemporain, si, à côté de l’œuvre, vous n’avez pas l’explication, vous n’y comprenez rien. Mais, en fait, lorsque les mots sont nécessaires à la compréhension de l’œuvre d’art, le sens est perdu ! Certes, quand le peuple chrétien découvrait un tympan roman ou des vitraux gothiques, il lui fallait être chrétien pour comprendre. Cependant chacun, même si sa connaissance catéchétique était limitée, pouvait, être sensible à l’œuvre en sa beauté, en ce qu’elle se donnait à voir. Et il en était allé de même pour le peuple athénien découvrant le Parthénon.

Je crois qu’aujourd’hui il y a une rupture entre le peuple et l’art. Et je trouve cela très grave. Car, pour moi la culture, au sens le plus noble du mot, c’est le peuple en osmose avec les artistes.

Je vois dans cette défaillance l’expression du trait le plus négatif de notre vie sociale, cette montée, semblable à une gangrène, de l’ego narcissique. Il y a déjà longtemps que l’on a chanté : « Huit cents millions de petits chinois et moi et moi … » Mais, c’est de plus en plus actuel ! Pour beaucoup, le monde n’est plus que le lieu de spectacle où je mets en scène mon moi !

Mais, l’artiste, ce n’est pas celui qui, seulement, s’expresse - presse son ego comme un citron ! L’artiste est quelqu’un qui s’exprime, c’est-à-dire qui entre en communication avec autrui et le grand artiste, c’est celui qui va exprimer, non pas son ego, mais ce qui fait l’éthos - l’attitude dans l’existence - de toute une société. C’est au travers de l’œuvre de Haendel, de Poussin, de Racine ou du château de Versailles que nous comprenons ce qu’a été le XVIIe siècle.

Vous sentez bien que j’aurais envie de développer tout cela ! Mais, il me faut m’arrêter et je voudrais conclure en revenant, plus directement, à l’évangile.

Jésus invite l’homme à entendre Dieu, à écouter ce que révèle le Père. On peut dire que Jésus est venu pour cela : révéler le Père. Mais, je le redis, cette révélation n’est audible qu’à ceux qui ne sont pas pleins d’eux-mêmes, lovés dans le narcissisme stérile du « moi », mais qui sont capables réellement de connaître l’homme et de le rencontrer. Ceux-là sont les « tout-petits ». Ceux-là sont, aussi, hommes d’authentique culture.