Homélie du Père Doumas

8 mai 2020

Il y a le schtroumpf gaffeur et le schtroumpf bêta. On hésite pour ce qui concerne Thomas. Est-il l’apôtre gaffeur ou l’apôtre bêta ? En effet, Jésus vient de dire : « Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin », et Thomas objecte : « Nous ne savons pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin ! » Jésus, dans ce qu’on appelle « les entretiens avec les disciples », vient d’expliquer qu’il va au Père. Il ne l’a pas dit une fois et comme en passant. C’est toute l’insistance du texte. Mais, non ! Thomas ne sait pas où Jésus va. Et il objecte : « comment pourrions-nous savoir le chemin ! » N’accablons pas ce pauvre Thomas, qui en fera d’autres ! En effet, les questions gaffeuses ou bêtas des apôtres ont l’avantage d’entraîner des réponses de Jésus d’une portée majeure et qu’il importe de méditer, car elles sont, en fait, très denses.

Jésus répond : « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie. »

Il semble qu’il faudrait donner trois explications, l’une sur le chemin - c’est ainsi qu’on répond, directement à la question de Thomas, l’autre sur la vérité et la troisième sur la vie. Il y aurait de quoi répondre avec le texte de l’évangile johannique. La vérité et la vie sont des thèmes majeurs de Jean. Mais il faut se redire que la langue que parle Jésus, l’araméen, langue sémitique, comme l’hébreu ou l’arabe, est bien plus analytique que les langues indo-européennes, qui, elles sont, « synthétiques ». Et, en fait, Jésus ne dit pas : « Je suis trois choses, qui sont très différentes et comme juxtaposées : le chemin, la vérité et la vie. » Mais, il dit : « Je suis le vrai chemin qui conduit à la vie ! » Et, de fait, dans le texte de l’évangile, il est aussitôt précisé : « Personne ne va vers le Père sans passer par moi ».

C’est clair ! Si l’on ne passe pas par Jésus, on ne va pas au Père. Il est le vrai, et donc le seul, chemin qui conduit à la vie. Car le Père est la vie. Ainsi, tous ceux qui ne se réfèrent pas directement à Jésus restent dans la mort et dans leur péché - ils vont donc ou au néant ou en enfer !

Ce genre de textes abonde dans le Nouveau Testament. Longtemps, ils n’ont guère fait problème. On ne s’inquiétait pas du sort d’un très grand nombre d’hommes qui n’étaient pas sauvés. Un peu comme on ne souciait pas du fait qu’une part très importante de la population était esclave, c’est à dire non seulement exploitée sans aucune limite, mais vendue comme du bétail. Notre temps ne supporte plus ce genre de propos. Mais, du coup, on tombe dans un relativisme total. Pour éviter, l’intolérance on exclut la vérité. Car, s’il y avait une vérité, alors, ceux qui n’y adhéreraient pas seraient exclus. Dans cette homélie, je ne vais pas traiter la question à fond, mais je voudrais clarifier le débat.

D’abord, disons-le nettement. Il y a une vérité. Il faut même dire : la vérité.

Quand j’échange avec un juif, un musulman ou un athée et que je dis que Jésus est le Fils de Dieu, qu’il s’est incarné, qu’il est mort sur la croix et qu’il est ressuscité, ils disent que j’invente, que c’est une fable, que c’est faux. Et moi j’insiste et je dis que c’est la vérité. Et de fait, ou c’est vrai ou c’est faux. Ou Jésus est le Fils de Dieu ou il n’est pas le Fils de Dieu, ou il s’est incarné ou il est resté au ciel, ou il est mort sur la croix et est ressuscité trois jours après ou non ! C’est ou l’un ou l’autre. C’est vrai ou c’est faux ! On dira : « Pour toi, c’est vrai. Pour moi, c’est faux ». Mais cela ne règle pas la question de savoir si effectivement Jésus est le Fils de Dieu et le sauveur des hommes par sa mort et sa résurrection. Et il n’y a que deux réponses possibles : ou Jésus est le Fils de Dieu ou il n’est pas le Fils de Dieu. S’il n’est pas le Fils de Dieu, moi, chrétien, je suis dans l’erreur, s’il est le Fils de Dieu, moi, chrétien, je suis dans la vérité. La question est, en fait, quelles conséquences on en tire.

Je peux avoir avec de telles affirmations une attitude tout à fait intolérante et dire à l’autre : « Tu es dans l’erreur et cela te condamne ». Ou bien, au contraire, insister sur le fait que chacun vient à la vérité par son propre chemin et que ce n’est pas la confession de la vérité, mais la recherche de la vérité qui fait entrer dans le salut.

L’histoire chrétienne est porteuse d’intolérance en grande partie à cause des « hérésies », des déviations doctrinales, de tout genre, qui se sont multipliées au cours des siècles, et depuis le premier siècle. Il a fallu les combattre et pour combattre les hérésies on a condamné les hérétiques. Et chacun sait à quels excès cela a conduit. L’Inquisition est la tâche la plus noire sur le manteau de l’Eglise. En fait, malheureusement, les chrétiens sont comme roulés dans les flots de l’histoire humaine et l’histoire humaine est une trainée de sang ! Elle est jalonnée de massacres de toutes sortes et chaque époque et chaque civilisation y a eu sa part.

Je reviens à mon propos : le salut de ceux qui ne confessent pas la vérité.

Par la confession chrétienne de la foi, on affirme que Jésus meurt pour le salut de tous, de l’humanité tout entière : la « multitude » ! Et cela n’est pas dit une fois et marginalement. C’est vraiment le centre de la foi chrétienne, de la vérité chrétienne. Ainsi, on ne voit pas comment avec une telle affirmation on pourrait resserrer l’entonnoir du salut à ceux-là seuls qui confessent la foi chrétienne. Et pourquoi pas d’ailleurs ? A la seule confession de la foi catholique, en excluant les protestants et tous ceux qui n’aiment pas le Pape !

Le décisif est que l’homme ne se sauve pas lui-même. C’est Dieu qui sauve l’homme, qui l’arrache à la mort et au péché. C’est une initiative de Dieu, qui agit par amour. On dit qu’il agit par « grâce », que nous sommes sauvés « par grâce ». Cela ne veut pas dire que nous sommes sauvés sans participation de notre part. Nul n’est sauvé malgré lui ! Mais, cela se joue dans l’intime du cœur de l’homme, dans l’adhésion mystérieuse de l’homme à son Créateur.

Et ici Thomas est un modèle. Quand il s’exclame : « Mon Seigneur et mon Dieu », il ne dit pas seulement que Jésus est le sauveur des hommes, il dit « Mon » Seigneur et « Mon » Dieu. C’est dans l’engagement de sa personne que cela se décide. Et Jésus lui dira : « Bienheureux ceux qui ont cru sans avoir vu ! »

Toujours, frères et sœurs, nous sommes renvoyés, comme tous les hommes nos frères, à notre vérité intérieure. Jésus est-il seulement « le » Seigneur ou « mon » Seigneur », est-il Dieu ou « mon » Dieu ? Il n’y a pas, en christianisme de vérité abstraite. Quand Pilate interroge Jésus et lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? » Jésus ne répond pas. A cette question il n’y a pas de réponse. Mais, il avait dit aux disciples : « Je suis la vérité ». La question n’est pas qu’est-ce que la vérité ? Mais qui est la vérité ? Dès lors je confesse comme la vérité une personne : Jésus, le Fils de Dieu fait homme pour le salut de tous les hommes et c’est en tant que personne que j’entre dans le salut.