Homélie

16 juin 2019

Nous avons beaucoup lu ces derniers temps l’évangile de saint Jean et encore aujourd’hui. Je voudrais dans cette homélie parler de cet évangile d’une manière générale. Il est bon, en effet, que les chrétiens aient une compréhension d’ensemble ; la lecture découpée, de dimanche en dimanche, n’y aide pas.

Par son volume, le quatrième évangile est semblable aux évangiles de Matthieu et de Luc. Le nombre de chapitres peut faire illusion, parce que la longueur des chapitres est très variable. Mais, pour donner une idée, disons que Matthieu a 26 chapitres, Luc 24 et Jean 21. Marc, le plus court, n’en a que 16.

Mais s’il est comparable en volume à Matthieu et Luc, l’évangile de Jean en diffère grandement. En fait, on parle des évangiles « synoptiques », qu’on peut lire d’un seul regard : les évangiles de Marc, de Matthieu et de Luc. On souligne, ainsi, la singularité de Jean.

Marc est le plus ancien des évangiles. On peut dire que son rédacteur est le créateur du « genre littéraire » évangile. Il a créé le schéma de base auquel tous les autres se sont référés. Un titre, puis le ministère de Jean Baptiste et le baptême de Jésus, puis Jésus en Galilée et l’appel des disciples. Vient alors, d’un bloc, le ministère en Galilée, une montée à Jérusalem, un ministère, plus court, à Jérusalem, puis tout l’ensemble de la Passion et la proclamation de la Résurrection.

Simple, facile à retenir, cette construction n’est pas nécessairement historique. On peut douter qu’au cours de son ministère Jésus ait séjourné une seule fois à Jérusalem. Des allers et retours entre Galilée et Judée sont très vraisemblables. En particulier à cause des fêtes de pèlerinage comme Pâque et Pentecôte.

Matthieu et Luc ont récupéré la tradition de Marc - sans doute pas le texte actuel de Marc, mais une version antérieure, pour nous perdue, - et ils y ont ajouté un recueil de « logia », de paroles de Jésus, qui circulait indépendamment, et que Marc ignorait. Par ailleurs, chacun des deux avaient leurs sources propres : par exemple la grande scène du Jugement dernier pour Matthieu et la parabole de l’enfant prodigue pour Luc.

Première version de Marc, plus recueil de paroles, plus textes propres, voilà à partir de quoi Matthieu et Luc ont travaillé. Il faut souligner que leur travail de rédacteur a été considérable et qu’ils ont usé de beaucoup de liberté. Le repérage de base est que Matthieu est un judéo-chrétien, un Juif converti au Christ, et Luc un pagano-chrétien, un païen converti.

La question de leur identité personnelle est très secondaire. Pour Marc, on peut retenir la tradition qu’il était disciple de Pierre et que son évangile a été rédigé à la fin des années 60, ou juste après 70, à Rome.

Vers la fin du second siècle, on a fait de l’auteur du quatrième évangile, qui s’appelait Jean, le second fils de Zébédée, le frère de Jacques. Plusieurs fois dans l’évangile on a « Pierre, Jacques et Jean ». Mais il est très difficile de voir en l’auteur du quatrième évangile un galiléen, qui plus est le frère de Jacques - Jésus ayant prophétisé le martyre des deux frères. Il est bien plus satisfaisant de voir en Jean un disciple de Jésus, habitant Jérusalem, chez lequel Jésus a souvent résidé - et qui, après la passion, a accueilli chez lui Marie, la mère de Jésus. Par ailleurs, il est clair que Jean est proche des grands-prêtres, sans être nécessairement membre de la hiérarchie sacerdotale.

Le fait de ne pas être galiléen et l’un des Douze situe de manière originale ce très proche disciple de Jésus. Il revendique, ainsi, l’originalité et la vérité de la tradition qu’il porte, en même temps qu’il reconnaît l’autorité de Pierre. Plusieurs textes de l’évangile manifestent cela clairement.

Jean a sans doute quitté Jérusalem au moment de la révolte des Juifs contre les Romains en 66 après Jésus-Christ et il a créé, à Ephèse, ce que les exégètes appellent « la communauté johannique ». C’est pour cette communauté qu’il rédige, vers 90 après Jésus Christ, son évangile.

Ce fut un long travail, sans cesse repris et réaménagé et qui est resté inachevé. Ainsi, ce n’est pas le disciple lui-même qui a édité le texte, mais son secrétaire - cela apparaît très nettement avec le chapitre 21, qui est un ajout au corps de l’évangile.

Je suis personnellement convaincu qu’au départ Jean a repris le schéma de Marc, mais l’importance donnée au ministère à Jérusalem : il habite Jérusalem, c’est là qu’il a vécu et qu’il a rencontré et accueilli Jésus, a modifié en profondeur la structure de son évangile. En tout, dans son récit, il y a quatre entrées de Jésus à Jérusalem, alors que chez les synoptiques nous n’avons que l’entrée, bien connue, des « rameaux ».

Cependant, la différence entre Jean et les synoptiques n’est pas là, dans la structure du récit, mais dans le fait que l’évangile de Jean est, de manière systématique, une présentation théologique de Jésus, originale et très profonde, et qui a joué dans l’histoire chrétienne un rôle essentiel.

C’est ainsi que si Marc se contente d’un simple titre : « Evangile de Jésus, le Christ, le Fils de Dieu », et que Matthieu et Luc rédigent, chacun bien à sa manière, un évangile de l’enfance, Jean, lui, rédige, un prologue théologique, dont certaines formules sont présentes à toute oreille chrétienne. Par exemple « le Verbe s’est fait chair ».

Je m’arrête ici. Bien entendu on pourrait développer considérablement cette présentation du quatrième évangile. Et l’année prochaine, dès le mois de septembre, je vous proposerai, toute les semaines, de 18h30 à 19h30, le mercredi, de lire de manière suivie, sur toute l’année, l’évangile de Jean. Ainsi nous acquérons une connaissance bien plus approfondie de la théologie johannique. Amen.