Homélie du Père Doumas

19 juillet 2022

Homélie du dimanche 17 juillet 2022 - 16e dimanche année C

 

L’évangile ne précise pas si Jésus est venu à Béthanie avec les Douze ou seul. Si c’était avec les Douze, Marthe a eu, évidemment, beaucoup de travail. Des gens comme Jacques et Jean, les fils de Zébédée, les « fils du tonnerre », devaient avoir un gros appétit. Et, de toutes manières, treize personnes, plus elle et sa sœur, ça fait beaucoup. Et, sans doute y avait-il aussi Lazare, le frère de Marthe et Marie. Les paroissiens de Courthézon font des repas avec beaucoup d’invités et qui durent jusqu’à quatre heures de l’après-midi, des repas qui sont excellents et très abondants, mais Marthe est seule, puisque sa sœur ne l’aide pas. Cependant, il semble bien que Jésus était sans les Douze. Et, du coup, avec des pâtes et un steak haché on s’en sort facilement. C’est ce que je fais souvent ! Ma conclusion est donc que si Marthe a eu du travail c’est qu’elle a voulu régaler Jésus avec une choucroute ou une paëlla, ou, peut-être une daube provençale, on ne sait pas ! Cependant, malgré tout, ce ne devait pas être énorme. D’ailleurs, il y a des choses qu’on peut préparer la veille. Mais, là aussi, on ne sait pas si Jésus est venu annoncé à l’avance ou impromptu ! Quoiqu’il en soit, ma conclusion est quand Marthe vient faire la leçon à Jésus - car elle lui fait la leçon : « Tu devrais dire à ma sœur de m’aider ! » - ce n’est pas parce qu’elle est débordée. C’est, en fait, un réflexe de dépit : je travaille et ma soeur ne fait rien ! Chacun de nous a fait l’expérience de ce genre de chose. En particulier les dames quand monsieur regarde la télévision au salon et que, comme Marthe, elles sont à la cuisine.

 

Marthe était certainement l’aînée et ce ne devait pas être la première fois que la petite dernière ne mettait pas la main à la pâte. Les parents ont dû avoir dans cette affaire une lourde responsabilité. Mais, cette fois, c’est trop ! Marthe éclate et ça tombe sur Jésus. Observons-les ! Jésus est assis et Marie est assise, elle aussi : à ses pieds. Elle l’écoute. Sans doute le regarde-t-elle intensément et elle boit ses paroles. Son beau visage - je suis sûr que Marie était jolie fille ! - son beau visage en est illuminé. Et cela touche Jésus. Il a du bonheur à être écouté ainsi. Pour lui, c’est, sans aucun doute, un très bon moment. Et Marthe, avec son algarade, vient gâcher cela ! Pourtant, Jésus ne se met pas en colère. C’est avec beaucoup de gentillesse, avec tendresse même, qu’il s’adresse à Marthe. Il l’appelle par son prénom. Deux fois ! « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et du t’agites pour bien des choses ». Et c’est, sans doute avec beaucoup de douceur qu’il ajoute : « Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

 

Le texte d’évangile s’interrompt ici. On ne connaît pas la suite. Marthe s’est-elle offusquée ? Doit-on l’imaginer les mains sur les hanches, hochant la tête et repartant à la cuisine et claquant la porte ? Ou bien, au contraire, s’est-elle assise à côté de sa sœur pour écouter Jésus à son tour ? Si ça a été la deuxième solution, le repas a dû être quelque peu roussi ! Mais, pour Jésus, ça n’avait pas d’importance. Marie, elle, n’a sans doute rien dit. Elle a simplement dû rougir de plaisir. Pour elle, la parole de Jésus était un compliment ! Un merveilleux compliment. Cependant je vous avoue ma perplexité. Que s’est-il réellement passé après la parole de Jésus à Marthe ? Je ne sais pas. Je n’ai qu’une certitude : après le repas Jésus et Marie ont aidé Marthe à faire la vaisselle !

 

Ce texte, si simple et délicieux, et que je prends plaisir à mettre en scène, est aussi un grand texte, un texte de référence majeur pour la vie chrétienne. Il nous dit avec délicatesse et humour l’équilibre de la vie chrétienne, ce qui est au premier plan et ce qui est au second plan. Par exemple, il faut bien s’occuper des enfants et de l’appartement, des vacances et de la belle-mère. Marthe avait sa part de vérité : il a bien fallu faire manger Jésus ! Mais, le vrai nécessaire est ailleurs. Un autre passage évangélique, très poétique celui-là, exprime la même chose. Jésus dit : « Regardez les oiseaux du ciel, ils ne cultivent pas, regardez les lys des champs, ils ne tissent pas ! » Et il ajoute : « Ne vous faites pas de souci ! », en précisant : ni pour la nourriture, ni pour le vêtement. Oui, il y a ce qui est nécessaire : manger et se nourrir. Mais, il ne faut pas confondre le nécessaire et l’essentiel. Le nécessaire, parce qu’il est nécessaire, vient toujours : nécessairement ! Mais, l’essentiel, lui, est parfois négligé. Et, là, c’est grave. L’essentiel, c’est l’amour ! L’amour reçu et donné, l’amour inspiré, l’amour qui vient d’en-haut, l’amour qui vient de Dieu. Et l’amour pour Dieu. C’est bien de croire en Dieu, mais si on n’aime pas Dieu, que croit-on réellement de lui ? Qu’il est le tout-puissant ? Qu’il a créé les choses visibles et invisibles, les anges, les hommes et les animaux ? Et que donc il convient de l’en féliciter. On dit qu’on le « loue » ou qu’on chante sa gloire. Mais le désir de Dieu, c’est d’être aimé. C’est ce qu’a compris Marie. Marthe avait sans doute de l’affection pour Jésus, mais son excès de sens pratique lui a fait penser qu’en faisant un bon repas elle allait satisfaire Jésus. Mais non ! Jésus attend autre chose. C’est Marie qui le lui a donné. Son écoute attentive, son amour ! Et d’ailleurs si Jésus s’invite chez les uns ou les autres, chez un pharisien ou chez le publicain Zachée, en fait c’est lui qui nous invite. Il nous invite à l’Eucharistie. Mais, je ne vais pas parler de l’Eucharistie. Ce serait trop long et vous cesseriez de m’écouter pour aller faire la cuisine ! Amen.