Homélie du Père Doumas

4 avril 2022
Homélie du dimanche 3 avril 2022.

Ce texte est d’une extrême violence ! On a « surpris une femme en flagrant délit d’adultère », dit l’évangéliste. Elle était, donc, avec un homme, ils faisaient l’amour. Ils étaient dans la passion des gestes et des caresses. Sans doute était-elle entièrement prise par ce qu’elle vivait. Malgré les risques, énormes ! Et malgré les risques son amour pour cet homme, dont on ne dit rien, avait tout emporté. Elle s’était donné à lui. A corps perdu. Ni le ciel ni la terre n’existaient plus pour elle, il n’y avait plus que cet homme qu’elle avait embrassé de tout son corps. Et voilà qu’elle est là, sur une place publique. Exposée au regard de tous. Nécessairement on l’imagine à demi-nue, sa robe serrée contre sa poitrine. Elle n’a pas eu le temps de remettre ses sandales, elle est une va nu-pieds et sa chevelure est complètement défaite. Elle baisse les yeux. En fait, elle est courbée sur elle-même. Elle pleure et elle tremble. Elle sait ce qui l’attend.

Des hommes, des religieux ! réclament impitoyablement sa mort : « Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. » On lapide, cela veut dire qu’on ne touche pas celui qu’on tue. On tue à distance. Et cela dédouane, sans glaive ni poignard ni corde, on ne tue pas, ce sont les pierres qui tuent. C’est la lâcheté des hypocrites ! Mais, en fait, cette femme n’est pas la cible véritable de ces hommes. Leur cible véritable, c’est Jésus. L’évangéliste le dit très clairement : « Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, pour pouvoir l’accuser. ». Elle, elle est totalement instrumentalisée. Elle n’est que la première pierre qu’on lancera sur Jésus.

Mais Jésus ne répond pas. Il s’est baissé et il écrit de son doigt dans la poussière. C’est un geste de dérision. Ce qui est écrit n’est que poussière. Mais, surtout, Jésus ne pouvait pas rester dans ce cercle d’hommes qui réclamaient la mort de cette femme. C’était impossible pour lui. Il ne pouvait pas participer à ce cercle de regards, qui condamnaient et qui, en même temps, désiraient. Car elle est une femme encore toute imprégnée de la passion amoureuse. Et on entrevoit, au travers de la volonté de la lapider, tout le sado-érotisme de ces hommes.

On met Jésus dans l’alternative : ou bien il refuse qu’on la lapide et, alors, c’est lui qu’on va lapider puisqu’il contredit la Loi de Moïse, ou bien il dit : « Oui, lapidez-la ! » et c’est tout l’évangile qui s’effondre. Mais, magistralement, Jésus se lève et se dégage du piège : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Et il se remet à écrire dans la poussière. La honte est sur ceux qui dénonçaient le péché ! Ils partent tous. Ironiquement l’évangéliste note : « en commençant par les plus âgés ». Et Jésus reste seul avec la femme. En fait, là était son but véritable : être seul avec elle. Ils sont partis, il se redresse. Et il lui pose cette fantastique question : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Il lui dit « femme », comme il avait dit « femme » à Marie, sa mère, aux noces de Cana. « Femme » est un titre éminent. En rien, il n’est disqualifiant. Bien au contraire, il dit toute la dignité de la femme. Alors Jésus demande : « Où sont-ils donc ? » Et il va jusqu’au bout de la question : « Personne ne t’a condamnée ? » Il pose cette question pour que la femme réponde : « Personne, Seigneur » ! » Jésus, par la question et par la réponse, veut que cette femme, qui vient de vivre une terrible épreuve de condamnation, fasse l’expérience de la libération.

Il faut entendre, il faut laisser résonner en soi ce : « Personne, Seigneur ! » Il est rempli d’étonnement, littéralement elle n’en revient pas. Elle est vivante. Elle vient d’échapper à la mort. A une mort terrible et infamante. Mais, plus encore, elle échappe à la condamnation. Elle n’est pas cette rejetée, cette exclue du peuple saint, cette morte vivante qu’on voulait qu’elle soit. Les religieux impitoyables de la Loi l’avait condamnée et elle vit ! Elle vit ! Mais Jésus n’a pas fini. Il ajoute : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ! » Frères et sœurs, entendons cette parole, mais imaginons aussi le regard de Jésus. Il regarde cette femme avec une immense tendresse. Son désir est qu’elle vive ! Et qu’elle vive libérée et heureuse. Quand Jésus dit : « Moi non plus, je ne condamne pas », il signifie qu’il n’approuve pas l’adultère. Mais, le mot important, c’est le tout petit mot de deux lettres, qui suit : « va » - il n’y a pas de mot plus petit que celui-ci ! Mais, il est capital, décisif. En lui disant : « va », il dit à la femme : « La vie est devant toi. Elle est ouverte, grande ouverte. Tu es libre ! Vis ! Fais ta vie ! » Et quand il précise : « et désormais ne pèche plus », cela n’a rien à voir avec une mise en garde. En réalité, il lui dit : « Avec cet adultère, tu étais dans une impasse. Cela bloquait ta vie. Tu te heurtais à un mur, impossible à abattre, mais maintenant il est tombé. La route est ouverte, tu peux marcher : va ! va ! va ! »

Frères et sœurs, il y a peu de textes de l’évangile aussi évangéliques que celui-ci. Jésus y est le grand maître de la libération et de la vie. Et nous avons à être ses disciples. Je ne crois pas qu’il y ait parmi nous beaucoup d’adultères et ce n’est pas la question. La question pour nous est celle-ci : nos paroles, y compris nos paroles d’amour, sont-elles aliénantes et donc en faveur de la mort ou bien libérantes et donc en faveur de la vie ? Est-ce que nous disons véritablement aux autres : « Va » ? Est-ce que nous disons véritablement aux autres : « Va » ? Amen.