Homélie du Père Doumas

3 avril 2021
Homélie du samedi saint

Le covid a bousculé nos calendriers. L’année dernière nous n’avons pas pu célébrer Pâques ! Et pour Rameaux vous êtiez venus chercher, tout au long de la journée, des rameaux bénis, posés à même le sol dans le chœur de l’église. Mais il n’y a pas eu de célébration. Cette année les choses se présentent différemment tout en n’étant pas normales. Les horaires du jeudi saint et du vendredi saint : les célébrations à 17h30 ne sont pas aberrants, mais ils ne sont pas habituels et mal commodes. Et nous ne pourrons avoir, nulle part, la vigile pascale. Seules les messes du dimanche matin peuvent être célébrées aux horaires traditionnels.

Du coup, les pasteurs sont amenés à prendre des décisions neuves. Dans les grosses paroisses, comme Orange ou Montfavet - j’ai été curé de l’une et de l’autre ! - il y aura une « vigile pascale » à 6h du matin. Pour nous courthézonnais, c’était à l’évidence exclu ! Mais c’est loin d’être aberrant. En effet, dans l’Antiquité, on célébrait l’eucharistie de Pâques au soleil levant et pendant toute la nuit on écoutait la Parole de Dieu et on priait. Une vigile pascale très tôt le jour de Pâques va permettre de le redire. Ici, à Courthézon, pendant la messe du jour, celle de 10h30, qui ne sera pas une « vigile pascale », on incorporera des éléments de la vigile pascale : la procession du cierge pascal et la bénédiction de l’eau baptismale et ce sera une très bonne chose pour les chrétiens qui ne viennent jamais à la vigile pascale !

Mais les décisions concernant la liturgie intègrent des données qui ne sont pas liturgiques. Il m’a paru nécessaire de dédoubler la messe pascale, comme on a dédoublé la veillée de Noël. Au lieu d’avoir une seule célébration à 18h, nous en avons eu une à 17h et une autre à 19h, tout en maintenant la messe du jour de Noël à 10h30. C’était nécessaire à cause l’affluence. De même on ne pouvait s’en tenir à la seule messe du jour de Pâques à 10h30.

On aurait pu avoir une messe à 9h ou à 8h30. C’est bien tôt pour un jour de Pâques, mais ce n’est pas déraisonnable. Cependant, j’ai pensé qu’une messe à 17h30 le samedi serait plus opportune et, si je puis dire, plus « ordinaire », plus dans les mœurs, puisque correspondant à nos messes « anticipées » du samedi. Et donc plus favorable à la pratique pascale.

A cette décision, il y avait une objection de taille. Dans la tradition de l’Eglise, le samedi saint est un jour « a-liturgique » : on ne célèbre, ni baptême, ni mariage, ni obsèques, ni messes. On réserve la proclamation de la Résurrection à la nuit tombée. C’est ainsi que l’on a le feu nouveau et la procession solennelle du cierge pascal. A vrai dire pendant des siècles on s’est dispensé de cette règle, mais la réforme liturgique de Vatican II l’a très heureusement restaurée. Et pourtant nous sommes dans l’après midi du samedi et nous sommes rassemblés pour l’Eucharistie de Pâques !

J’ai pensé que c’était l’occasion de souligner la réalité du samedi saint ! Un peu comme les vigiles pascales de 6h du matin permettent de redire que, normalement, l’Eucharistie pascale se célèbre au soleil levant : c’est l’heure où les femmes vont au tombeau et le découvrent ouvert et vide, et c’est donc le moment où est proclamée la Résurrection : « Il n’est pas ici. Il est ressuscité ! » Nous venons de l’entendre.

En fait, mon réflexe est de donner priorité à la pédagogie, quitte à bousculer les règles de la liturgie, qui, certes, ont leur pertinence, mais aussi leurs limites. Trop longtemps, le Peuple chrétien a subi les choses sans qu’on prenne soin de les expliquer. Et donc je voudrais insister sur le sens du samedi saint.

Je voudrais que l’on retrouve la signification profonde de ce jour, à nul autre pareil. Car, il est devenu « a-liturgique » au sens que c’est le jour où l’on va acheter le gigot pascal à Carrefour ! Mais, ce jour « a-liturgique » a une signification, qui déborde largement la liturgie, et qui est littéralement « mystérique ».

Le vendredi, Jésus pousse un grand cri et meurt à trois heures de l’après-midi. Après ce moment, si tragique, un certain Joseph d’Arimathie demande à Pilate de s’occuper du corps de Jésus et Pilate donne son accord. Joseph, accompagné de Nicodème selon l’évangile de Jean, a sans doute réalisé l’essentiel des rites funéraires pour Jésus et a déposé son corps dans un tombeau, creusé dans le rocher, non loin du Golgotha. Il lui a fallu faire vite, car « tombait » le sabbat. On sait, effet, que le jour du sabbat les Juifs s’abstiennent de toute action et mesurent jusqu’au nombre de leurs pas dans la journée. On sait, aussi, que, pour les Juifs, le changement de jour ne se fait pas, comme pour nous au milieu de la nuit : à mi-nuit, mais au coucher du soleil. Pour les Grecs, c’était au lever du soleil !

Si l’on suivait une certaine logique « littéraliste », il faudrait donc célébrer l’office du vendredi saint avant le coucher du soleil. Comme on célèbre le chemin de croix à 15h ! Mais, de fait, on ne remet pas la réserve eucharistique dans l’église. On ira la chercher à la sacristie pour la vigile pascale !

Le « samedi saint » commence donc le vendredi ! Et se poursuit, normalement, jusqu’au matin du dimanche de Pâques : c’est le temps du tombeau, c’est le temps de Jésus dans la mort, qui ressuscite, comme nous le savons tous, « le troisième jour » après sa mort : vendredi, samedi, dimanche !

Tout le comportement des chrétiens, ce jour-là, devrait être inspiré par cette situation, par le fait que Jésus est au tombeau, que Jésus est dans la mort ! On pense, spontanément, au jeûne et à la prière. On pense aux lamentations du prophète Jérémie ou aux « impropères », ce chant, bouleversant, dans lequel Jésus dit à son Peuple : Je ne vous ai fait que du bien, pourquoi m’avez-vous fait tant de mal ?

On devrait resté prostré, dans une attitude de deuil extrême : Jésus, le Messie, Jésus, le Fils de Dieu est mort et demeure mort, il est « dans » la mort ! Comment pouvons-nous avoir une journée normale, comment pouvons manger et travailler, faire la cuisine ou le ménage, aller se promener et faire des achats ? Comment rire et jouer avec les enfants ! Nous devrions, tous, demeurer, ou chez nous ou à l’église, dans la sidération, en même temps que dans l’attente. En effet, nous l’avons suivi, comme les disciples, et il nous a annoncé et sa mort et sa résurrection. Nous sommes atterrés : littéralement, à terre ! mais nous sommes aussi dans l’espérance. Contre toute évidence, nous attendons qu’il revienne à la vie, qu’il soit vainqueur de la mort !

A vrai dire, je ne sais pas comment on peut faire ! Comment célébrer ou prier un tel jour ? Faut-il prohiber tout rassemblement ou créer des « offices », comme vêpres ou complies ? Je ne sais pas. Je sais seulement que ce jour est absolument unique, qu’il nous plonge dans l’entre-deux de l’extrême mystère : le moment de la mort de Jésus et le moment de sa résurrection.

Alors, frères et sœurs, en cette année si particulière, célébrons l’Eucharistie, que nous ne devrions pas célébrer ! Mais célébrons-la avec une foi très neuve et très profonde, une foi marquée par le tragique de la mort de Jésus et illuminée par la lumière de sa Résurrection.