Homélie

27 juillet 2019

Le passage que nous venons de lire se divise aisément en trois parties : la prière du Notre Père, avec son introduction sur la prière de Jean-Baptiste, la parabole dite de l’ami importun et enfin la série de logia : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez on vous ouvrira. »

La version lucanienne du Notre Père est plus brève que celle de Matthieu - le Notre Père que nous prions suit, largement, le texte de Matthieu. On pourrait essayer une synopse, ce ne serait pas dénué d’intérêt, mais je pense que ce qui nous interpelle très directement dans ce passage ce sont les logia : « Demandez et on vous donnera ».

Ces textes viennent de ce qu’on appelle la source Q, de l’allemand quelle, qui veut dire tout simplement « source », et qui désigne un recueil de paroles de Jésus, isolées de tout contexte narratif, que Matthieu et Luc utilisent abondamment, mais que Marc, et Jean, ignorent.

D’une manière générale Matthieu et Luc ont respecté de très près leur source, souvent au mot près. Cependant, dans ce passage, il y a quelques variantes. Ils ont en commun le poisson et le serpent, mais Luc, vous l’avez entendu, parle d’un œuf et d’un scorpion, alors que Matthieu parle de pain et de pierre. Cette divergence vient, sans doute, de la source elle-même. La version utilisée par Matthieu ne devait pas être tout à fait la même que celle utilisée par Luc. Quoiqu’il en soit, cette première divergence n’affecte pas le sens. Il n’en va pas de même pour la seconde. Matthieu dit : « Votre Père du ciel donnera de bonnes choses à ceux qui le leur demandent », mais dans Luc nous avons : « Le Père du ciel donnera l’Esprit Saint à ceux qui lui demandent ». Là le sens même des paroles est changé. Il faut voir cela de près.

Fondamentalement il s’agit de la prière de demande. Certains la critiquent parce qu’elle manquerait, soi-disant, de noblesse et qu’avant de demander il faut dire merci. Sans doute importe-t-il que le petit garçon dise merci à la dame ! Bonne éducation oblige. Mais, quand il s’agit des rapports de l’homme avec Dieu, la demande est au cœur de la relation. Le Seigneur lui-même nous demande de demander.

Une part très importante de ma prière est la prière de demande. C’est ainsi que je prie beaucoup pour une personne, que j’aime, et je demande au Seigneur de lui donner beaucoup de bonheur dans sa vie de famille. Ma prière est instante. Souvent elle prend le ton de la supplication. Car, je ne peux pas supporter l’idée que cette personne soit malheureuse.

Ma prière est-elle exaucée ? Je réponds oui ! Elle est exaucée, mais comme l’est une prière. Or, une prière n’est pas une simple demande ou l’expression d’un désir. Elle n’a rien à voir avec une revendication syndicale ou une manifestation des gilets jaunes. La prière est ce que j’exprime à Dieu. Je l’exprime de tout mon cœur. En fait, comme nous le chantons, je dépose ma prière « dans le creux de ses mains » - et c’est lui qui, avec ses mains, va agir. Son action est réelle, mais pas toujours telle que je l’avais formulée. Car, aucune prière n’est perdue. Pour ainsi dire, elle sert toujours à quelque chose.

Suite au « demandez, on vous donnera », il y a le « frappez, on vous ouvrira ». Souvent nous avons frappé à une porte et elle est demeurée close. Je peux continuer à frapper, mais elle restera close. Mais si je prends un peu de recul il se pourrait bien qu’à côté de la porte où j’ai frappé je découvre, grâce à ma prise de recul, une autre porte, qui, si je frappe, s’ouvrira. Et, ainsi, j’entrerai.

Peut-être que la personne pour laquelle je prie si fort n’aura pas autant de bonheur dans sa vie familiale que je le désire, mais, je suis, sûr que d’une manière ou d’une autre le Seigneur lui viendra en aide. Et c’est pourquoi je ne me lasse pas.

Mais, je reviens, maintenant, aux textes de Matthieu et de Luc.

De manière très cohérente, le logion de Matthieu, qui fait le parallèle entre l’homme, qui donne à son fils un œuf et non pas un scorpion et Dieu, qui est sollicité par l’homme, dit que Dieu donnera - a fortiori - de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. De « bonnes choses », cela recouvre beaucoup de choses ! A coup sûr lorsque je demande le bonheur familial pour la personne pour laquelle je prie, c’est une « bonne chose ». Mais, le texte de Luc dit que Dieu donnera l’Esprit Saint. Sans doute l’Esprit est-il une bonne « chose », mais c’est tout de même quelque chose de très spécial et qui n’équivaut pas aux « bonnes choses » du texte de Matthieu.

Pour moi, il est clair que Luc a modifié le texte initial, que Matthieu a conservé. Et s’il l’a fait c’est qu’il s’est trouvé affronté, comme nous tous, aux difficultés de la prière de demande. On demande quelque chose de bon, et même de très bon : le bonheur familial pour une personne, ou bien la santé pour un malade et ce n’est pas cela qui se passe. Et Luc nous dit : la prière n’est pas perdue ! Elle produit le don de l’Esprit Saint.

La personne pour laquelle je prie recevra l’Esprit Saint. Je n’en doute pas, mais je voudrais insister sur un autre point. Je crois que toute prière vraie se formule dans l’Esprit Saint et qu’en priant nous recevons l’Esprit Saint. La prière de demande est toujours au bénéfice de celui qui demande et ce bénéfice est celui de l’Esprit Saint. J’ose dire que j’en fais l’expérience : quand je prie pour la personne dont je parle, c’est que je l’aime, mais en priant je découvre que je l’aime encore plus. C’est cela le don de l’Esprit Saint.

Frères et sœurs, il nous faut laisser à Dieu d’être Dieu : il donne de bonnes choses comme dit Matthieu, il donne l’Esprit Saint comme dit Luc. Et notre prière - je le redis – n’est pas perdue. Alors, ne cessons pas de prier. Je vous assure, malgré les difficultés, je n’ai pas jamais cessé de prier pour ce bonheur familial dont je vous ai parlé et jamais je ne cesserai de le faire.