Homélie du 1er dimanche de carême

8 mars 2019

Ce récit des tentations de Jésus est bien connu. Notons que si Marc signale les tentations il ne les détaille pas et que Jean les ignore entièrement. Par ailleurs, en Luc et en Matthieu, la deuxième et la troisième tentation sont inversées : Luc place en troisième place la tentation au Temple, Matthieu la tentation sur la haute montagne. L’ordre de Luc est plus suggestif et c’est ce que je vais commenter.

La première tentation concerne le pain, la seconde le pouvoir. Voilà qui est très contemporain : la consommation et le pouvoir !

Il y a des pauvres parmi nous et nous avons, particulièrement en ce temps de carême, à y être attentifs. Mais, globalement notre société se gave et gaspille. Et l’un des effets les plus négatifs de cela concerne l’état de la planète qui se dégrade. Notre responsabilité est directement engagée.

Il ne s’agit pas de se priver des bonnes choses ! Personnellement, quand c’est bon, je préfère la plus grosse part ! Mais, la modération est une vertu nécessaire. C’est une question de santé physique, mais aussi le signe d’une maîtrise de soi qui est d’ordre spirituel. Cependant, dans la consommation, il n’y a pas que le manger ! Nous sommes affrontés - le mot est juste : « affrontés » !- nous sommes affrontés à toutes sortes de sollicitations. Dans un tel contexte, le chrétien est un résistant, il fait de la résistance et il a un réflexe critique.

Je vous cite un cas un peu extrême, mais significatif. Une grande surface fait une promotion sur les friteuses électriques. Et monsieur et madame Trucmuche s’y précipitent. On peut comprendre s’ils aiment les frites. Mais le problème est qu’ils ont déjà deux friteuses à la maison et qu’ils vont en acheter une troisième seulement parce qu’elle est en promotion ! Je l’admets, le cas est limite. Mais je suis sûr que si nous examinons nos vies nous y découvrirons des choses semblables.

Je n’insiste pas plus, je passe à la deuxième tentation, celle du pouvoir. Vous remarquez, d’ailleurs, qu’avec cette histoire de friteuses ma théologie est, ce matin, au raz des pâquerettes !

Donc, le pouvoir. Cela ne concerne pas seulement le président de la République et ceux qui veulent prendre sa place, cela nous concerne nous : dans notre vie quotidienne.

Chacun de nous, d’une manière ou d’une autre, nous exerçons du pouvoir. Il y a le pouvoir des parents sur les enfants. Et, de plus en plus, le pouvoir des enfants sur les parents ! Il y a aussi le pouvoir sur son conjoint. Chacun a sa stratégie, plus ou moins efficace, mais le désir de dominer l’autre habite tous les cœurs.

J’aime une personne de tout mon cœur. Je vais le lui dire ! Mais je vais lui dire, aussi, que mon amour pour elle se veut un vrai amour, que mon amour n’est pas un amour de moi qui se déguise, que mon amour n’est pas un désir de la dominer et d’en faire ma chose ! Je crois que rien n’est plus destructeur de l’amour que cela, le désir de dominer !

J’en viens à la troisième tentation. Le diable voudrait que Jésus mette Dieu à l’épreuve en se jetant du haut du Temple. Sous cette forme-là la tentation ne nous habite guère, mais en fait elle décrit tous les refus de Dieu.

Ici, je vais faire un peu de théologie !

Dieu est Dieu, et c’est cela que nous avons le plus de mal à admettre. Nous voudrions qu’il nous ressemble et que lorsque nous lui demandons quelque chose - avec toutes les amabilités que permet la prière - il s’empresse d’obéir à notre sollicitation. Mais souvent il se fait tirer l’oreille, il semble ne pas nous entendre, plus exactement il semble de pas vouloir nous entendre. Car comment imaginer qu’il n’entende pas !

Il n’y a pas de foi possible si l’on ne comprend pas que l’action divine est très différente de la nôtre. Dieu agit, mais pas comme nous ! Il est très rare qu’il intervienne directement. Je vous raconte une histoire.

C’est un naufragé dans un canot de sauvetage qui se dégonfle. Bientôt il va mourir noyé en plein océan. Il fait appel à Dieu. Et un quart d’heure plus tard arrive un bateau de pêche, on lui propose d’embarquer, mais il refuse : c’est Dieu qui doit me sauver, pas les hommes. Un nouveau quart d’heure passe et jaillit des eaux un sous-marin. On lui propose d’embarquer, mais il refuse : c’est Dieu qui doit me sauver, pas les hommes. Un autre quart d’heure passe et un hélicoptère déploie une échelle de corde au-dessus du naufragé. Pour la troisième fois, il refuse : c’est Dieu qui doit me sauver, pas les hommes. Puis, plus rien ! Et, bientôt, le canot se dégonfle complètement et coule. Le naufrage se noie. Il arrive devant Jésus et très en colère il lui dit : « Tu devais me sauver ! » Alors, tranquillement, Jésus lui répond : Qui a envoyé le bateau de pêche ? Qui a envoyé le sous-marin ? Qui a envoyé l’hélicoptère ?

Oui, frères et sœurs, Dieu agit dans nos vies, mais bien souvent nous ne savons pas le voir, nous ne comprenons pas comment il agit ! Que ce carême nous rende attentifs à la présence de Dieu en nos vies ! Amen.