Homélie du Père Doumas

23 avril 2021

Nous connaissons bien l’image du Pasteur, du bon pasteur. Il connaît ses brebis et ses brebis le connaissent et il donne sa vie pour ses brebis. Mais j’attire votre attention sur ce passage, qu’on retient moins : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos. Celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. »

Manifestement, ce qui est désigné ainsi c’est l’avenir de l’Eglise. Au départ, elle est composée exclusivement de Juifs : Pierre et tous les apôtres, et tous les disciples, sont Juifs, même s’ils sont de langue grecque comme Etienne, le premier martyr. Et puis, la brèche s’ouvre et les païens vont entrer en masse dans l’Eglise. Une Eglise composée de juifs et de païens devenus chrétiens, c’est la situation lorsque Jean rédige son évangile.

Cette ouverture est toujours d’actualité. Aujourd’hui, comme au lendemain de Pentecôte ou au jour du baptême du centurion Corneille, le premier païen à avoir reçu le baptême, aujourd’hui comme aux tout premiers temps de l’Eglise, les chrétiens annoncent le Christ.

Dimanche dernier, j’ai souligné combien l’annonce est indissociable de la Résurrection. Une Résurrection sans annonce, une Résurrection muette, n’a pas de sens ! Dans la Résurrection elle-même est incluse la nécessité de l’annonce. Et c’est pourquoi je reprends la réflexion sur notre situation d’aujourd’hui : comment annoncer la foi ?

On organise, dans certaines communautés, des évangélisations de rue. On envoie des chrétiens, qui abordent directement les gens, dans la rue ou bien en sonnant aux portes. Cela ne provoque pas d’incidents particuliers. La démarche n’a rien d’agressif et les réactions sont souvent positives. Cependant, même s’il n’y a pas de rejet, les adhésions sont très limitées, très peu nombreuses. Et on le comprend !

Quand j’étais curé d’Orange, j’avais organisé avec mes collègues prêtres, une permanence dans la cathédrale, toute la matinée, le jeudi matin, jour du marché. L’idée était de prendre contact avec les personnes qui entraient dans l’église et d’engager la conversation avec elles. Dans notre esprit, c’était une démarche d’évangélisation. Beaucoup de gens, en effet, entrent dans une église sans être particulièrement croyants. Cela témoigne simplement d’une certaine attirance pour ce qui est d’ordre spirituel. En fait, il s’est passé tout autre chose ! Nous avons été accaparés par des paroissiens, tout à fait pratiquants, et qui avaient, plus ou moins : souvent moins que plus, le besoin de parler. Et, du coup, nous avons mis fin à l’expérience.

Ma conviction est qu’on ne peut pas créer artificiellement une rencontre qui sera évangélisatrice. Vous pouvez avoir la foi la plus dynamique du monde, il est nécessaire que l’interlocuteur soit en disposition d’écoute. C’est lui qui fera, en fait, l’ouverture, qui amorcera un tel dialogue. Bien sûr, même si l’on apprend ou l’on sait que vous êtes un bon catholique, on ne va pas vous dire de but en blanc : « Explique-moi le credo ? » ou bien : « Parle-moi de Jésus ? » Mais, d’une manière ou d’une autre, on se placera sur le terrain de la « spiritualité ».

Ce mot « spiritualité » est très important. Le « religieux », aujourd’hui, est souvent objet de soupçon. Pour beaucoup il consonne avec « intolérance ». A l’inverse, le mot « spiritualité » est, d’emblée, œcuménique. Et, surtout, il renvoie à la conviction personnelle, à l’intime du cœur.

Dans les rencontres que je vis lors des préparations de baptêmes, de mariages ou d’obsèques, je me place sur ce terrain. Je développe l’idée que l’homme n’a pas seulement des besoins matériels, ou même psychologiques et affectifs. J’affirme, avec force, que l’homme est un être spirituel. Qu’il est « capable de Dieu ». Cela le différencie radicalement des êtres de la nature, qui sont, certes, créatures de Dieu, et qui sont, comme telles, à respecter, mais l’homme est non seulement doté d’intelligence et de liberté, de langage aussi, qui le rendent capable d’entrer dans des relations d’amour et d’amitié, mais il a cette capacité à entrer en relation avec son créateur.

Ce point est décisif ! Nul d’entre nous n’a demandé à naître. Mais, pour autant, nous n’avons pas été jetés dans le monde. Nous avons été déposés dans le monde. Et ma vie n’est pas une simple chose que je fais mienne, mais, ma vie, je la reçois d’un autre : du créateur, de celui qui est à l’origine de tout et qui est présent à sa création.

Les parents disent : « Nous avons donné la vie ». Ca a sa part de vérité. Mais, le fondamental n’est pas qu’ils ont donné, mais qu’ils ont reçu. Toute vie est don ! Les parents accueillent leur enfant. Ils ont pu décider d’avoir un enfant et pris les moyens pour cela. Mais, ils ne décident pas si ce sera un garçon ou une fille et moins encore que ce sera ce garçon ou cette fille, qui sont toujours uniques !

C’est parce que l’homme prend conscience que sa vie n’est pas une simple donnée de fait : j’existe et puis c’est tout ! Mais qu’elle a une origine, une source que l’homme se tourne vers Dieu, son créateur.

Et il faut développer ce que cela implique. Parce que l’homme est « capable » de Dieu, il est appelé à avoir une vie spirituelle, une vie en relation avec Dieu. Cela ne s’improvise pas ! Cela se désire et se construit. La relation avec Dieu est, en cela, semblable à toute relation. Cela s’entretient et s’enrichit au fil même de la vie. Par delà les circonstances, il faut avoir des rendez-vous, des rencontres régulières. Que chacun, bien sûr, va organiser.

C’est là que l’on peut souligner l’importance de la rencontre communautaire et dire que la foi en un Dieu qui aime tous les hommes ne peut pas se vivre pleinement en solitaire.

Ce discours, il faut, littéralement, l’avoir à disposition. Non pas pour le placer n’importe où et à n’importe qui. Mais, quand cela est opportun. Et il y a des opportunités. Plus nombreuses, je pense, que ce que nous croyons.

Avant de conclure, j’insiste sur un point, à mes yeux essentiels. Il est absolument nécessaire d’avoir une relation dans la liberté. En aucune manière l’autre ne doit se sentir, non seulement agressé, mais contraint ou obligé. L’entrée en vie spirituelle engage la personne elle-même, elle est, donc, un acte de liberté.

J’ai développé ce thème de la « spiritualité ». Il y a une autre piste, que j’exploiterai dimanche prochain : celle d’une annonce plus directe de Jésus et de tout ce qui est lié à lui. Mais, frères et sœurs, je suis profondément convaincu qu’il faut toucher l’homme dans son cœur, lui faire réaliser qu’il n’est pas seulement un être particulièrement doué au sein de la nature, mais un être spirituel, « capable de Dieu ». Amen !