« Riches ne soyez pas aveugles »

30 septembre 2019

Le récit est bien connu ! Cependant, il faut s’arrêter et regarder de près les détails.

La description du riche, qui demeure anonyme : on ne nous dit pas son nom, et de Lazare sont juxtaposées. On nous dit que le riche fait chaque jour des festins somptueux et que Lazare a faim. Mais, on ne nous dit pas que le riche ignore Lazare ou que Lazare fait demande au riche. La seule précision est que Lazare aurait bien aimé se rassasier de ce qui tombe de la table du riche, mais qu’en fait les chiens viennent lécher ses ulcères.

Dans la suite, le riche est au séjour des morts, en proie à la torture et Lazare est auprès d’Abraham. Mais quand le riche implore Abraham, qu’il lui demande d’envoyer Lazare tremper son doigt dans l’eau pour lui rafraîchir la langue et qu’Abraham répond que c’est impossible parce qu’il y a un grand abîme, qui empêche de traverser dans un sens comme dans l’autre, Abraham ne fait pas de reproche au riche. Il ne lui dit pas qu’il a été égoïste, qu’il a eu le cœur dur, qu’il aurait dû s’occuper de Lazare et que c’était mal qu’il ne l’ait pas fait, il dit simplement : « Tu as reçu le bonheur pendant ta vie et Lazare le malheur pendant la sienne, maintenant il trouve la consolation et toi la souffrance. » C’est une simple inversion des choses. Avant, l’un jouissait et l’autre souffrait, maintenant c’est l’inverse. Ce n’est pas un discours moral. Abraham constate le renversement de situation, pour ainsi dire il énonce des faits.

Cependant, il se passe autre chose lorsque le riche demande qu’on envoie Lazare auprès de ses frères : « Qu’il leur porte son témoignage de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture ». Mais, là non plus on ne moralise pas ! Tout le texte vise à souligner que si Moïse et les prophètes ne suffisent pas, une résurrection n’y ajoutera rien. Bien sûr ce dernier trait est ironique. Jésus est ressuscité et cela n’a rien changé pour les pharisiens - c’est à des pharisiens que Jésus s’adresse. C’est qu’en fait, malgré leur prétention, les pharisiens n’écoutent ni Moïse, ni les Prophètes. Et c’est cela qui les rend incapables de croire en Jésus. On a donc là un autre enseignement que celui sur la richesse et la pauvreté.

Sans doute pourrait-on imaginer la parabole du bon riche. Il y a bien celle du bon samaritain ! Du coup, le riche aurait invité Lazare à sa table et après sa mort il aurait été du côté d’Abraham, et non pas dans la fournaise. Mais, voilà ! Jésus n’a pas raconté la parabole du bon riche. Et il nous faut prendre en plein visage cette parabole-là, la parabole réelle et non la parabole imaginée.

C’est le fait de la richesse et, inversement, celui de la pauvreté qui décide du sort du riche et de Lazare. Cela correspond parfaitement aux béatitudes telles qu’elles sont dans l’évangile de Luc - c’est dans l’évangile de Luc que nous avons cette parabole. En Luc, à la différence de Matthieu, Jésus ne parle pas des « pauvres de cœur ». Il dit : « Heureux vous les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » et plus loin, en guise de malédiction, il ajoute : « Malheureux, vous les riches, vous tenez votre consolation ». C’est exactement la parabole !

Luc dénonce-t-il la richesse comme telle - la richesse et les riches ? Est-il une sorte de Karl Marx ? Prône-t-il la révolution sociale ? Ce serait commettre un contre-sens ! Mais, il nous faut prendre cet enseignement pour nous et pour aujourd’hui.

La richesse est un piège. Celui qui accumule pour accumuler est dans une logique de mort. Son enfermement le conduira à la ruine : à la perte de ses biens et de sa personne. Car, la richesse occulte la réalité. Littéralement on devient aveugle. Bien avant d’être insensible, on est aveugle : on ne voit pas. Le riche a un bandeau sur les yeux ! S’il voyait, il deviendrait sensible à la pauvreté. Mais, il ne voit pas : sa richesse l’en empêche.

A nous de vérifier quels biens, que nous possédons et qui nous possèdent, nous empêchent de voir. Vérifions ce qui nous rend aveugles. En faisant cela, nous ferons tomber de nos yeux le bandeau qui nous cache la vue et alors notre cœur nous dictera la bonne conduite.