« Laisse aller » un acte de foi : Le décès de Vincent Lambert

22 juillet 2019

J’aurais préféré, « égoïstement » si je puis dire, vous commenter ce texte de Marthe et de Marie. C’est un texte que j’aime bien et que j’aime bien commenter. Mais un événement très douloureux est intervenu récemment et je me sentirais en faute de ne pas vous en parler. Il s’agit de la mort de Vincent Lambert.

Nul ne peut se réjouir de cette mort. Elle est de toutes manières un échec. Mais, certaines réactions, qui se présentent comme « catholiques », me mettent mal à l’aise et, en tout état de causes, elles ne peuvent pas se présenter comme la seule affirmation catholique sur le sujet. On peut, au nom de sa foi catholique, comprendre les choses autrement.

Il faut redire les choses dans leur réalité concrète et sans employer des mots inappropriés, totalement outranciers. On n’a pas le droit de dire : « Les médecins sont des assassins ». On ne peut pas affirmer, non plus, que Vincent Lambert était un « handicapé ». Ce sont des mots injustes et faux.

La médecine, après son accident, a voulu « sauver » Vincent Lambert. On peut s’interroger sur cette volonté. Pour ma part, je la crois justifiée. Dans des circonstances semblables, s’il y a une chance de survie, il faut la mettre en œuvre. Cependant, les médecins n’ont pas fait de miracle, même s’ils ont fait des prouesses, et Vincent Lambert n’a survécu qu’à l’état végétatif. Cela veut dire qu’il était maintenu en vie parce que, comme une plante, on le nourrissait et on l’hydratait. Il est capital de souligner le caractère « artificiel » de ce soin. Vincent Lambert ne mangeait pas, il ne se buvait pas. Rien ne passait par la bouche, mais par une sonde. A cause de l’intervention de la médecine, on était sorti, définitivement, de l’état « naturel » ; on était dans une situation « artificielle ». Si on laissait la nature se débrouiller, on choisissait, nécessairement, la mort.

Si l’on avait arrêté ces soins un an ou deux ans après l’accident, j’aurais été profondément mal à l’aise. Car sur une telle durée une sortie de l’état végétatif peut intervenir. Mais, au bout de dix ans peut-on, raisonnablement, penser à un « réveil » ?

En fait, toute la question est là. Ou l’on pense qu’il faut maintenir la vie - cette vie végétative - parce que, peut-être, on ne sait pas ! un jour il y aura un « réveil » ou bien on pense qu’on est allé très loin et qu’aller plus loin serait de l’acharnement. Par définition l’acharnement n’est pas au début de l’action, mais quand elle se prolonge et devient « déraisonnable ». C’est, je crois, ce qui s’est passé. Le maintien des soins pour Vincent Lambert était devenu « déraisonnable ».

Je vous avoue qu’une question m’effraie : « Et si Vincent Lambert était conscient de sa situation ? » Elle m’effraie parce que, si tel a été le cas, comme certains osent le dire, on lui a fait vivre l’intolérable, l’inhumanité d’une terrible prison. Sans doute la personne est une personne humaine mais une telle vie est une vie inhumaine et il est inhumain de faire vivre à une personne humaine une vie inhumaine. Et d’ailleurs qui accepterait de la vivre ?

En fait, Vincent Lambert n’avait aucune conscience de son état. Dieu merci ! Et la seule raison de son maintien en état de survie végétative : je dis bien « la seule raison », car, par lui-même l’état végétatif n’est est pas une, la seule raison à sa survie était l’espoir qu’il se « réveille ». Et c’est là qu’on pouvait hésiter. On aurait pu dire : encore un peu de temps et peut-être se réveillera-t-il. Mais, dix années, c’est énorme. Et ma conviction est qu’il était juste de le « laisser partir ». C’est, dit-on, la dernière phrase de Jean-Paul II : « Laisser moi aller vers le Père ».

La médecine a quelque chose de prométhéen. Toujours elle voudrait sauver et que jamais la mort ne signe son échec. Mais, la médecine n’est pas toute puissante et la mort fait partie de la vie. Et, dès lors, nécessairement vient un moment où on « laisse partir ». On peut dire qu’on a droit au « laisser partir ».

Je suis choqué par ceux qui voulaient à toute force retenir Vincent Lambert dans notre monde. Pourquoi le maintenir dans cette prison ? Pourquoi le laisser enfermé dans cette nuit ? Pourquoi ne pas le laisser aller vers la lumière. Pourquoi ne pas le laisser aller vers son Créateur ? Pour le chrétien, la mort n’est pas le mal absolu. Elle est fondamentalement « entrée dans la vie », comme dit Thérèse de Lisieux.

Mais, on dit : « Nous, les chrétiens, on défend la vie ». Mais qu’est-ce que cette « vie » que l’on défend ? Quand il s’agit d’un embryon qu’on élimine, oui on tue un être en plein développement, quand on pratique l’euthanasie on tue parce qu’on provoque directement la mort par un acte létal, proprement euthanasique. On injecte un produit mortel, qui provoque directement la mort. Il n’y a rien eu de cela avec Vincent Lambert. Il est mort de mort naturelle parce qu’on a interrompu des soins, dont il faut dire à nouveau qu’ils étaient « artificiels », ceux de la médecine avec ses sondes et ses liquides.

Pour moi, il s’agissait, donc, clairement, d’« acharnement ». Et l’Eglise récuse et l’euthanasie et l’acharnement, autant l’un que l’autre.

Je ne crois pas que vouloir maintenir indéfiniment dans un état végétatif une personne humaine soit une exigence de la foi chrétienne. En tout cas, il est tout autant chrétien, et pour moi, bien plus, de laisser mourir de mort naturelle. Encore une fois, Vincent Lambert n’a pas été euthanasié. On ne l’a pas tué. On a interrompu des soins. La médecine a ainsi reconnu son échec et Vincent Lambert, qui, a vécu une nuit totalement obscure pendant dix ans, est allé vers la lumière, vers son Créateur.

La foi chrétienne est confrontée à des choses difficiles, à des situations inédites, liées aux progrès humains. Au Moyen Age, il n’y avait pas de Vincent Lambert ! Mais, nous ne pouvons pas affronter ces questions et tenter des réponses avec une pensée figée et simpliste. Il faut réinsérer dans notre compréhension chrétienne le sens de l’humain, concret, tel que la vie le montre. C’est vrai pour ces problèmes-là, mais, aussi, pour bien d’autres sujets.

Je ne veux convaincre personne ! Et vous pouvez, très légitimement, penser autrement que moi, mais il était de mon devoir de poser des questions sur certaines réponses, parce qu’elles se présentent comme les seules réponses catholiques. Cela n’est pas vrai. On peut être catholique et penser, très légitimement, tout autrement.