L’aveugle qui devient disciple

27 octobre 2018

A l’entrée de Jéricho, il y a Zachée - c’est un récit de saint Luc. A la sortie de Jéricho, il y a Bartimée - c’est un récit de saint Marc. Il serait intéressant de faire le parallèle entre les deux textes. Mais, je préfère entrer avec vous dans le détail du récit de Marc.

Jésus sort de Jéricho. Il y a annoncé l’Evangile et il a eu du succès. Non seulement il est accompagné de ses disciples, mais aussi d’une foule nombreuse. Et, là, il y a Bartimée, qui est assis parterre au bord de la route. On imagine très bien les lieux. Comme toute ville de l’Antiquité Jéricho est une ville fortifiée. Il y a des remparts et dans les remparts des «  portes  » - comme par exemple la porte de l’Oulle à Avignon.

Bartimée est aveugle. On ne sait pas depuis quand. Est-ce de naissance  ? Est-ce un accident  ? On ne sait pas. Marc ne le dit pas. Ce qui importe, c’est qu’il est là : parterre et qu’il mendie. Il n’a rien d’autre pour vivre que ce qu’on lui donne.

Quand il apprend que c’est Jésus qui passe, il crie, il hurle : «  Jésus, fils de David, aie pitié de moi  !  » Il a entendu parler de Jésus et il n’hésite pas à employer une expression messianique pour le supplier. «  Fils de David  » est une expression pour désigner le Messie. Mais les cris de l’aveugle dérangent la foule. On veut, donc, le faire taire. Alors, lui, au lieu de se taire, crie encore plus fort : «  Fils de David, aie pitié de moi  !  » Jésus n’avait pas entendu les premiers cris, mais cette fois il entend.

Jésus aurait pu faire semblant de ne pas avoir entendu et passer son chemin. Mais, ce n’est pas dans ses habitudes, abandonner les gens à leur détresse  ! Plus que quiconque il est «  bon samaritain  ». Pourtant Jésus ne va pas vers Bartimée. Il aurait pu fendre la foule et interroger l’aveugle. Il aurait pu, aussi, l’appeler lui-même : «  Bartimée  ! Je t’ai entendu  ! Viens près de moi  ». Non  ! Jésus dit à la foule : «  Appelez-le  »  ! Pourquoi  ? Pourquoi Jésus agit-il ainsi  ?

Ce n’est pas par hasard et ce n’est pas sans signification  ! En fait, si Jésus demande à la foule d’appeler l’aveugle, c’est parce que cette foule qui voulait faire de cet aveugle un muet en l’obligeant à se taire et qui, donc, faisait «  barrage  » entre lui et Jésus doit devenir «  pont  ». Et ça marche  ! Littéralement la foule est convertie. Les gens disent à Bartimée : «  Confiance, lève-toi. Il t’appelle  !  » Et là il se passe quelque chose d’extraordinaire. Grâce à cette foule, convertie, littéralement retournée par Jésus, l’aveugle jette son manteau, bondit et court vers Jésus.

C’est extraordinaire, un aveugle qui court  ! Normalement un aveugle marche à tâtons, avec beaucoup d’hésitation. Littéralement un aveugle ne sait pas où il met les pieds. Mais, là Bartimée court  ! Il a totalement confiance  ! Et il faut relever le détail que nous donne l’évangéliste : il jette son manteau. Son manteau, c’est tout ce qu’il a, sa seule richesse, et c’est en même temps le signe de sa misère. Mais, désormais, il sait qu’il n’en aura plus besoin  ! Et donc le voilà devant Jésus.

Frères et soeurs, regardez ce regard d’aveugle tout entier tourné vers Jésus. Et regardez le regard de Jésus, qui plonge dans les yeux morts de l’aveugle. Et entendez cette parole extravagante, absurde et provocatrice : «  Que veux-tu que je fasse pour toi  ?  », «  Que veux-tu que je fasse pour toi  ?  » Comment Jésus peut-il poser une telle question  ? Que peut donc vouloir cet aveugle qui a crié de toutes ses forces, qui a rejeté son manteau, qui a bondi de la route, qui a couru vers lui et qui, maintenant, est là devant lui suppliant de tout corps  ? Que peut-il vouloir d’autre que la guérison de ses yeux  ? Pourquoi, pourquoi Jésus pose-t-il cette question  ?

Tout simplement pour que Bartimée lui dise : «  Rabbouni, que je voie  !  » «  Rabbouni  », c’est une parole de tendresse, une parole d’enfant qui est dans la pleine confiance. «  Que je voie  », c’est le désir, l’unique désir de Bartimée. Si Jésus lui pose la question : «  Que veux-tu que je fasse pour toi  ?  » c’est pour que Bartimée dise son désir, que son désir sorte de lui : nu et plein.

Frères et sœurs, il y a là une très grande leçon pour nous. Qui d’entre nous n’est pas aveugle  ? Qui d’entre nous n’est pas mendiant  ? Mais, chacun de nous a été appelé, par l’Eglise - cette foule convertie - à être dans la confiance. Et chacun de nous est devant Jésus. Et à chacun de nous Jésus dit : «  Que veux-tu que je fasse pour toi  ?  » A nous de dire notre désir  ! Avec la même force et la même douceur que Bartimée.

Ce que je crains, c’est notre pusillanimité, la tiédeur de notre désir. Pourtant un chrétien, c’est quelqu’un qui a du désir, un chrétien, c’est quelqu’un d’intense  ! Quelqu’un qui crie et qui bondit et qui devant Jésus dit : «  Rabbouni, que je voie  !  »

C’est là le centre, le cœur, de ce récit. Et son grand enseignement. Pourtant le texte a une suite. Jésus dit à Bartimée : «  Ta foi t’a sauvé  !  » et Bartimée aussitôt se met à voir.

Jésus avait levé le handicap social, ce qui faisait de Bartimée un marginal Les gens bien intentionnés voulaient l’enfermer dans l’exclusion en le faisant taire, mais Jésus avait demandé à la foule de l’appeler et Bartimée était venu sur la route, devant Jésus : il n’était plus parterre au bord de la route, mais debout sur la route. Et il avait abandonné son manteau, signe de son rejet. Mais maintenant Jésus lève le handicap physique : Bartimée voit. Il faudrait imaginer l’intensité de ce regard tout neuf…

Mais, ce n’est pas fini  ! Marc nous dit : «  Il suivait Jésus sur la route  ». Quelle route  ? La route qui monte de Jéricho vers Jérusalem, où Jésus sera crucifié. Non seulement Bartimée est réintégré dans le monde des hommes, mais il devient disciple de Jésus  ; il l’accompagne vers Jérusalem.

Frères et sœurs, n’hésitons pas à crier, plus fort que fort  ! N’hésitons pas à entrer dans la confiance : «  Confiance, il t’appelle  !  » N’hésitons pas laisser nos vielles nippes sur le bord de la route  ! Et là devant Jésus, laissons-nous aller à la tendresse, abandonnons-nous à la confiance, exprimons le plus profond de nous-mêmes et accueillons la guérison de nos yeux et de nos cœurs. C’est ainsi que nous deviendrons, véritablement, disciples de Jésus.