Homélie du Père Doumas

15 novembre 2020

En ce temps de pandémie et de confinement, les plus pauvres sont fragilisés dans leur quotidien. Les difficultés de tout genre sont aggravées. Vous-mêmes avez pu en faire le constat. En cette mi-novembre le Secours Catholique ne peut pas organiser sa collecte nationale. Faites-la donc chez vous ! Vous prenez une enveloppe, vous écrivez dessus « Pour le Secours Catholique » et vous la placez dans un endroit judicieux pour être amené à la remplir chaque jour ou, du moins, régulièrement. Vous pouvez demander à vos enfants ou petits enfants de la décorer par un dessin et ajouter une phrase. Les pauvres n’attendront pas. Le Secours Catholique est dans l’action, mais, en attendant, préparez-vous à soutenir le Secours. Merci !

« Homélie » du dimanche 15 novembre 2020

Les homélies sont faites pour être écoutées. Sans doute le dimanche j’écris mon texte et, parce qu’il est diffusé, on peut le lire chez soi. Certains le font et en tirent du profit. Mais pour les baptêmes, les mariages ou les obsèques, généralement, il n’y a pas de texte écrit.

Avec le confinement, l’écoute disparait et c’est dommage. Néanmoins il faut tirer parti de la situation. Puisque vous allez lire mon texte, et non pas l’entendre, je vais en profiter pour faire un enseignement plus doctrinal, plus accessible par la lecture que par l’écoute.

Je voudrais me placer au cœur de la célébration eucharistique et en montrer la signification la plus profonde. Je pense que c’est nécessaire, car d’une manière générale l’ignorance est grande en ce domaine.

Je pense que chacun perçoit que la « prière eucharistique » joue un rôle capital dans le déroulement de la la messe. Le moment de la « consécration » a beaucoup de relief et, d’une manière générale, les fidèles en saisissent l’importance. C’est un temps fort d’adoration, où l’assemblée est très concentrée. Mais, peu connaissent la dynamique à laquelle elle appartient et on tend à l’isoler de ce qui la précède et, surtout de ce qui la suit. C’est l’objet central de cet enseignement.

La prière eucharistique commence par le dialogue : « Le Seigneur soit avec vous/et avec votre esprit. Elevons notre cœur/nous le tournons vers le Seigneur. Rendons grâce au Seigneur notre Dieu/ cela est juste et bon. » C’est le moment le plus dialogué de la célébration de la messe. Le prêtre salue l’assemblée, qui lui répond : « Le Seigneur soit avec vous/et avec votre esprit. » Puis, il invite les fidèles à « élever » leur cœur et ils répondent en disant leur adhésion : « Nous le tournons vers le Seigneur ». C’est alors qu’il fait la proposition : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu » et que les fidèles approuvent en disant : « Cela est juste et bon ». Du coup, le prêtre enchaîne avec la prière d’action de grâces, appelée, malencontreusement, « préface ». Il dit, reprenant les termes de l’assemblée : « Cela est juste et bon … »

C’est une prière adressée au Père et qui a pour objet essentiel une action de grâces à cause du Fils. Bien sûr, cela varie beaucoup selon le temps liturgique, mais l’usage du texte de base de la Prière eucharistique numéro 2 est une très bonne formule, car elle redit l’essentiel de l’œuvre du Christ. Il est très important que le prêtre donne un fort relief à cette action de grâces et la prononce selon le ton qui convient. Ce n’est pas un texte d’imploration ou de méditation. C’est une louange, sur un rythme vif et solennel.

Cette action de grâce débouche sur la proclamation de la sainteté de Dieu. A l’invitation du célébrant, tous chantent le « sanctus ». Il convient que l’adhésion de l’assemblée soit forte et très vivante. Un « sanctus » triste et qui se languit va dans le mauvais sens ! Il doit être une acclamation très vivante, puissante et solennelle. Joyeuse aussi !

De la même manière que le célébrant avait enchaîn2 la prière d’action de grâces dans le dynamisme de l’assemblée qui avait répondu « Cela est juste et bon », le célébrant enchaîne, après le chant enthousiaste du « sanctus », sur la prière, que l’on nomme « épiclèse », et qui fait appel à l’Esprit Saint. Le prêtre, s’adressant toujours au Père, dit : « Toi qui es vraiment saint, toi qui es la source de toute sainteté, Seigneur, nous te prions : sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit. Qu’elles deviennent pour nous le Corps et le Sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur ». En disant les paroles, il fait le geste de l’imposition des mains sur le pain et le vin.

Grâce aux paroles en français et au fait que le prêtre est face à l’assemblée, les fidèles repèrent bien ce moment. Et, tout naturellement, ils assimilent le fait que c’est par l’action de l’Esprit Saint que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Christ. L’eucharistie n’est pas une action magique !

Après cette prière, qui est parole et geste, le prêtre prononce ce qu’on appelle « le récit de l’institution ». Il dit : « Au moment d’être livré et d’entrer librement dans sa passion, Jésus prit le pain, il rendit grâce, il le rompit et le donna à ses disciples en disant : Prenez et mangez en tous, ceci est mon corps livré pour nous’ ». Après l’élévation du Corps du Christ et l’adoration par tous, il y a les paroles et le geste sur le vin, qui devient le Sang du Christ.

La prière d’épiclèse, l’appel à l’Esprit Saint, qui a enchaîné sur le « sanctus », et « le récit de l’institution » font un tout, qu’on appelle, à juste titre, la « consécration ». Ce n’est plus du pain, mais le Corps du Christ, ce n’est plus du vin, mais le Sang du Christ.

La liturgie place là ce qu’on appelle l’ « anamnèse », qui signifie « mémoire », et qui est une acclamation au Christ, mort et ressuscité et qui « vient ». Ici, il y a un rite courthézonnais particulier : sur le coin de l’autel je fais brûler de l’encens pour signifier la présence divine.

Jusqu’ici les « choses » se sont enchaînées avec une très grande logique. Il n’y a pas de rupture d’une action à l’autre. Le dialogue initial ouvre sur la prière d’action de grâces, la prière d’action de grâces ouvre sur la proclamation de la sainteté de Dieu (le « sanctus »), la proclamation de la sainteté de Dieu ouvre sur l’épiclèse, prière d’appel à l’Esprit Saint, et l’épiclèse ouvre sur le récit de l’institution. Et, ainsi, la « consécration » est réalisée : ce n’est plus du pain, mais le Corps u Seigneur, ce n’est plus du vin, mais le Sang du Seigneur. Mais, la suite est surprenante et il est capital de se laisser surprendre et de s’interroger.

En redisant les paroles et en refaisant les gestes, le prêtre imite ce qu’a dit Jésus et ce qu’il a fait, mais, à ce moment-là, après avoir prononcé les paroles du « récit de l’institution », il ne continue pas cette imitation. Il ne rompt pas le pain et il ne le distribue pas. Cela viendra plus tard, après que soit achevée la prière eucharistique. Ce sera le moment de la Fraction et le chant de l’Agneau de Dieu, qui l’accompagne, suivis de la distribution de la « communion ». Mais alors que dit-il ? Et pourquoi le dit-il ? Répondre à ces questions, c’est entrer véritablement dans l’eucharistie. Et c’est ce que beaucoup ignorent et que je voudrais expliquer maintenant.

J’insiste ! La « logique » voudrait que, de la même manière que le prêtre a redit les paroles de la « consécration » : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang … » il poursuive, immédiatement, par la fraction du pain et la distribution du pain fractionné. Car, il le dit : « « Il le rompit et le donna à ses disciples ». Mais, cela est reporté ! On pourrait, ainsi, imaginer la prière suivante. « Seigneur, nous rompons le pain comme Jésus l’a fait. C’est le signe de sa mort pour nous. Donne-nous d’y reconnaître son Corps et que cette communion soit pour nous favorable. » Mais, ce n’est pas du tout ce que nous disons ! Alors que disons-nous ?

Nous disons : « Faisant ici mémoire de la mort et de la résurrection de ton Fils, nous t’offrons, Seigneur, le pain de la vie et la coupe du salut ». Autrement dit, célébrant le « mémorial » de la mort et de la résurrection du Christ, nous offrons son Corps et son Sang. Au lieu de la Fraction, l’Oblation : « nous t’offrons ! »

C’est cela que je tiens à souligner : après la consécration, une fois qu’est réalisée la présence du Corps et du Sang du Christ, on ne procède pas à la Fraction, comme Jésus au jeudi saint, mais on offre son Corps et son Sang, on réalise l’oblation. Cela doit surprendre et il importe de comprendre le sens de cette « oblation » ! Cela est essentiel à la célébration. Je n’hésite pas à dire que ne pas percevoir cela, c’est ne pas entrer dans l’eucharistie.

Tout le sens de la Passion, qui réalise notre salut, est dans l’offrande que le Fils fait de lui-même au Père. Et l’eucharistie n’est pas une représentation du dernier repas, mais la célébration du salut. D’où la nécessité d’offrir nous-mêmes le Corps et le Sang du Christ. En réalité, cette offrande est le fait de l’Eglise et dans ce geste de l’Eglise se réalise le geste du Christ. Il s’est offert et par son offrande nous sommes offerts, c’est-à-dire conduits au Père.

Thérèse de l’enfant Jésus utilise une image, bien moderne ! celle de l’ascenseur. Nous montons dans l’ascenseur qu’est le Christ et c’est le Christ qui nous monte au Père ! C’est le sens exact de ce qui suit la consécration, l’oblation, qui n’est pas la fraction attendue !

Lorsque nous disons : « Nous t’offrons, Seigneur, le pain de la vie et la coupe du salut », nous avons à nous laisser offrir par le Fils au Père. C’est le moment le plus décisif de l’eucharistie, qui conditionne l’acte même de la communion. Car, c’est parce que nous avons offert qu’ensuite nous mangeons. La prière, qui suit la consécration, le dit très bien : à l’oblation est immédiatement joint ce qu’on appelle l’ « épiclèse sur l’assemblée », c’est-à-dire la prière adressée à l’Esprit Saint pour que ceux qui vont communier au Corps eucharistique du Christ soient rassemblés « en un seul corps, le Corps du Christ. »

Ce lien, très intime, entre l’oblation et la communion est capital. Et c’est en raison de ce lien que la consécration n’est pas suivie de la fraction, mais de l’oblation ! Encore une fois, entrer dans l’eucharistie, c’est entrer dans ce « mystère ».

Bien plus que la « présence réelle », c’est cela qui nous sépare des Réformés, qui ont complètement perdus le sens de l’oblation. Et c’est pourquoi le concile de Trente a insisté sur le « sacrifice » eucharistique.

Après la prière d’oblation et l’épiclèse sur l’assemblée, la prière eucharistique va déployer une longue prière d’intercession : pour l’Eglise, le monde, les défunts … On fera référence aux saints, et donc, en premier à la Vierge Marie, on dira la communion de l’Eglise : le pape, les évêques, notre évêque … Et tout cela sera conclu par une grande « doxologie » : « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles », que l’assemblée approuve par un Amen, solennel.

Cependant, il faudra reprendre le fil du récit de l’institution. Jésus a dit : « Ceci est mon Corps », mais il a rompu le pain pour le distribuer. Et c’est ce qui va être fait.

A nouveau j’insiste sur un point : le rite de communion commence avec le geste de la Fraction, qui doit être mis en valeur, et auquel est associé le chant de l’assemblée qu’est l’Agneau de Dieu. Fraction du Pain et distribution du pain font un tout. C’est très clair dans le geste de Jésus le jeudi saint.

En fait, entre la Prière eucharistique, conclue par la doxologie, et la Fraction du Pain et l’Agneau de Dieu, qui introduisent le rite de communion, s’insèrent le Notre Père et le geste de Paix. C’est un rappel des deux commandements : l’amour pour Dieu et l’amour pour le frère. Cela mériterait d’être développé, mais mon texte est déjà bien long et j’y reviendrai un autre jour. Pour aujourd’hui retenons bien cela : le récit de l’institution ne se prolonge pas, comme le voudrait une certaine logique, celle de la simple imitation, par le rite de la fraction, mais par l’oblation et cela est absolument central dans la compréhension de l’eucharistie.

Bon dimanche !