Homélie

22 juin 2019

Si nous avons le récit de la multiplication des pains dans l’évangile, nous avons, en cette fête du Corps et du Sang du Seigneur, le récit par Paul de ce qu’on appelle couramment « l’institution de l’Eucharistie ».

Paul insiste sur la « tradition », sur le fait qu’il a reçu et qu’il a transmis - c’est cela la tradition : recevoir et transmettre. Il dit très explicitement : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis. » Paul a été initié. C’est ainsi qu’il n’a pas reçu seulement une information ou même une catéchèse. Ce qu’il a reçu, il l’a vécu.

Dans le récit de sa conversion, lorsque Paul est entré dans Damas, et qu’Ananie lui impose les mains, il retrouve la vue. Mais aussitôt il reçoit le baptême. Luc écrit : « Il retrouva la vue, il se leva et reçut le baptême » Cependant, il ajoute : « Puis, il prit de la nourriture et les forces lui revinrent ». Sans doute, cette nourriture que prend Paul est-elle, pour une part, une nourriture ordinaire, de la viande, des légumes. Mais, très probablement, celui qui vient de recevoir le baptême mange le Repas du Seigneur.

Je voudrais souligner le lien intime du baptême et de l’eucharistie.

Sans doute le baptême est-il décisif. Il fait entrer dans une vie nouvelle. C’est ce que dit Jésus à Nicodème : « Il te faut renaître ». Mais, justement parce qu’il fait entrer, parce qu’il est une porte, le baptême est porteur de tout le reste de la vie chrétienne.

Cathy, tu as été baptisée il y a cinquante ans ! Et aujourd’hui tu vas participer au Repas du Seigneur, tu vas manger et boire. Mais Cécilia, qui va être baptisée, va, elle, participer immédiatement au Repas du Seigneur. Elle ne va pas attendre cinquante ans ! Mais, en fait, pour l’une comme pour l’autre, c’est par votre baptême que nous êtes invitées à la table du Seigneur.

Le baptême nous met en état d’invitation. Quand je baptise des bébés, j’insiste beaucoup sur ce point. Un baptême qui n’est pas suivi d’une catéchèse et de l’Eucharistie est un acte amputé, rétréci, en fait un acte manqué ! On est lavé par l’eau, on est parfumé par l’huile, on est habillé de lumière - ce n’est pas pour aller au lit ! C’est pour participer au repas de la fête, celle de Jésus qui se donne à nous.

Il peut y avoir un certain décalage dans le temps. Par exemple, Lou a été baptisée cette année, au début du mois de mai, mais sa communion est déjà prévue, l’année prochaine. Et, Maud et Antoine, qui ont été baptisés l’année dernière, viennent de communier pour la première fois. C’était pour Pentecôte.

Je reviens maintenant au texte de Paul, à la tradition eucharistique.

Dans ce très court passage, Paul ne dit pas tout. Et c’est pourquoi il faut relever ce sur quoi il insiste. Ce qui est caractéristique de son texte par rapport à ceux de Marc, de Matthieu et de Luc, c’est la répétition du « Faites cela en mémoire de moi ».

Dans la vie juive, on ne vit pas les repas comme nous le faisons. Pour nous un repas est un acte profane, où l’on mange et boit, où l’on vit de la convivialité et qui peut être précédé et suivi d’une prière, mais dans la vie juive tout le repas est action de grâces.

Le peuple d’Israël confesse que Dieu lui a donné une terre - la « terre promise » - et cette terre n’est pas seulement un espace, un lieu déterminé, cette terre est féconde ; elle est la terre où « coulent le lait et le miel ». Elle est le lieu de la bénédiction divine.

C’est ce que Jésus a vécu avec ses disciples. Au cours des centaines de repas qu’il a pris avec eux, il a prononcé la bénédiction, rompu le pain et fait circuler la coupe. C’était, littéralement, le pain quotidien. Mais, la veille de sa mort, au cours du repas du soir, il a ajouté, à ces paroles et ces gestes si souvent répétés, des paroles complètement inouïes, absolument singulières : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ». Comme le dit Paul, c’était, d’abord, une proclamation de sa mort. Paul écrit aux Corinthiens : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur ».

Mais, dans le texte de Paul, Jésus insiste. Par deux fois, il dit : « Faites cela en mémoire de moi ». Ces paroles ce sont inscrites dans le cœur des disciples, au plus profond de leur cœur, et donc lorsque, après la résurrection, ils ont mangé à nouveau ensemble, ils ont, comme tout Juif, et comme ils l’avaient toujours fait, ils ont prononcé la bénédiction sur le pain et le vin, mais, alors, c’est imposé à eux le « Faites cela en mémoire de moi » et ils ont associé aux paroles de la bénédiction juive les paroles de Jésus : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ». Et c’est comme cela qu’est née l’Eucharistie.

Je vous invite à vivre ce « Faites cela en mémoire de moi ». Mais, il ne s’agit pas d’un simple souvenir. Célébrer l’eucharistie, ce n’est pas prononcer un discours à l’Arc de triomphe, chanter la Marseillaise et raviver la flamme sur la tombe du soldat inconnu. C’est entrer dans l’aujourd’hui de Dieu.

Car si nous faisons mémoire, a fortiori lui se souvient ! Si nos pauvres mémoires d’hommes se souviennent combien plus Dieu n’oublie pas ! Et il est là, présent. Célébrer l’Eucharistie, ce n’est pas seulement évoquer le passé, c’est vivre le présent. Le Seigneur se donne à nous, et il se donne à nous de la manière la plus radicale. Sans doute devons-nous dire que le pain devient son Corps et le vin son Sang, mais, pour être dans la vérité du sacrement, nous devons dire, aussi, l’inverse. Nous devons dire que Jésus se fait Pain, qu’il se fait Vin, pour que nous le mangions et que nous le buvions, pour qu’ainsi nous devenions semblables à lui, que nous soyons unis à lui, que nous vivions de sa vie.

Cathy et Cécilia, en raison de votre baptême, vous allez participer au Repas du Seigneur. Lui se souviendra de ses promesses, faites, vous ! sans cesse ! dans le quotidien de vos vies, mémoire de lui ! Amen.