Homélie du Père Doumas

29 mai 2021

Homélie du dimanche 30 mai 2021

Nous avons lu ce que tous les exégètes appellent « la finale de Matthieu », les quelques lignes qui concluent le premier évangile. Ce texte est très dense. Lisons-le de près.

Cela se passe en Galilée. Les disciples, tous galiléens, ne sont pas simplement retournés chez eux, « à la maison ». Ce n’est pas un retour en arrière ! C’est lors de la proclamation de la résurrection qu’on leur a dit de se rendre en Galilée. C’est un nouveau départ, en fait le départ décisif.

L’évangile précise qu’ils vont « à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre ». C’est, très probablement, la même « montagne » que celle du « sermon sur la montagne » du début de l’évangile. Mais le lieu n’est pas simplement géographique, il est symbolique. Il dit la hauteur de la terre, surtout il évoque la montagne par excellence qu’est le Mont Sinaï. Cette montagne est un lieu de révélation et de commandement.

L’évangile dit : « Quand ils virent Jésus, les disciples se prosternèrent ». Cela est unique dans les récits d’apparition pascale. Matthieu veut, en fait, souligner que pour les disciples Jésus est le Fils de Dieu, qu’il est Dieu. Mais, en même temps, il note : « mais certains eurent des doutes ».

On ne s’étonne pas de cela ! Dans Luc Jésus doit insister : « Voyez, c’est bien moi ! » Et nous avons tous en tête Thomas. Ce qui surprend ici c’est que rien n’est dit, rien n’est fait pour lever le doute. Simplement Jésus s’approche d’eux - ils l’avaient donc vu d’une certaine distance et leur adresse la parole. Ce sont ces paroles qui sont l’essentiel du texte. C’est, en fait, un petit discours, fait de cinq affirmations.

Jésus commence ainsi : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre ». Jésus ne se présente pas comme celui que la mort n’a pu vaincre, mais comme celui qui règne : il a « tout pouvoir ». Et ce règne est pleinement universel : « au ciel et sur la terre ». Cependant, ce « pouvoir », il ne l’a pas conquis de lui-même, il lui a été donné. La forme passive : « tout pouvoir m’a été donné » est une manière théologique de parler. Elle dit que ce pouvoir au ciel et sur la terre est donné à Jésus par Dieu. Ainsi Jésus exerce le même pouvoir que Dieu. Ce pouvoir n’est ni arbitraire ni tyrannique. Il est pour la vie, en faveur de la vie des hommes.

La deuxième affirmation est un envoi : « Allez ! » C’est très vigoureux et sans limites : « De toutes les nations, faites des disciples ». La mission déborde entièrement le cadre, désormais dépassé, du Peuple d’Israël. Le ressuscité est à annoncer à tous, sans exception et l’on comprend : « au-delà des mers et des terres ». Toute terre habitée est concernée ! Jésus précise : « Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». C’est la troisième affirmation.

Peu de phrases ont eu un retentissement comme celle-ci ! Au départ, nous le savons par les Actes des Apôtres, et Paul le confirme, on est baptisé « au nom de Jésus », mais manifestement dès avant la fin du premier siècle, dans les Eglises, et dans toutes les Eglises, on baptise « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ».

C’est une affirmation décisive pour ce qu’on a appelé, à partir du second siècle, la « trinité ». Car, si cela faisait partie du discours spontané des chrétiens : toujours on a parlé du Père, du Fils de l’Esprit Saint, aucun des trois n’a jamais été mis de côté et ils ont toujours été mis en relation sur la base d’une affirmation, sans faille, du monothéisme : il y a trois personnes » et un seul Dieu, si cela a toujours fait partie du discours chrétien, il a fallu de longs et difficiles débats pour le mettre en forme. Cela s’est achevé avec le concile de Constantinople de 381. Après l’homélie, nous proclamerons le « symbole » de Nicée-Constantinople.

Je reviendrai sur ce point en conclusion de l’homélie. Mais, je continue le commentaire du texte. Je passe à la quatrième affirmation : « Apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé ».

La montagne où Jésus ressuscité rassemble ses disciples est celle où il a proclamé les béatitudes et la loi nouvelle : « On vous a dit, moi je vous dis ! ». C’est à ces commandements-là que Jésus renvoie et qu’il demande à ses disciples d’enseigner. Mais, il faut souligner que cet ordre est encadré par le baptême « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » et par la promesse de Jésus, qui est la cinquième affirmation : « Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » ». Autrement dit Jésus ne donne pas simplement un ordre comme un officier donne un ordre à ses soldats ou un chef à ses subordonnés. Il donne, d’abord, la force pour qu’il accomplisse les commandements : le baptême et il s’engage lui-même en disant qu’il ne cessera jamais d’être à leur côté : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». On remarque qu’il ne dit pas « je serai », mais « je suis ». C’est dès maintenant et « jusqu’à la fin du monde ».

J’ai pointé ce qui constitue ce texte, la « finale de Matthieu ». On pourrait, bien sûr, aller plus loin et approfondir, mais je tiens à dire quelques mots sur la « trinité ».

La trinité est souvent présentée comme le casse-tête par excellence et l’on dit, pour écarter le problème : « C’est un mystère ! » Mais, cela est très dommage. Nous avons été baptisés « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », il est, donc, nécessaire de savoir ce que cela veut dire !

Il y a un baptême en christianisme. Il n’y en a pas en islam. En islam, il y a seulement la circoncision, qui concerne donc seulement les hommes. On peut dire que s’il n’y a pas de baptême en islam c’est parce que l’islam s’en tient au seul monothéisme. Nous, les chrétiens nous sommes monothéistes, et nous affirmons une trinité en Dieu et nous sommes baptisés au nom de cette trinité, « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». Le baptême vient, en fait, de la trinité ! C’est parce que Dieu est relation, la relation d’amour qui unit le Père, le Fils et l’Esprit, que nous sommes baptisés, mis en relation intime avec Dieu et chacune des personnes divines.

Ne cédons rien sur le monothéisme. Nous sommes tout autant monothéistes que les Juifs et les musulmans, mais vivons la trinité, la relation des personnes. Le christianisme n’est pas une religion en noir et blanc : Dieu et l’homme seulement, mais une religion tout en couleurs, où tout est rempli de vie et de diversité, où tout est relation, où Dieu est relation, où Dieu est amour ! Amen.