Homélie du Père Doumas

12 mai 2021

Tout le monde sait ce qu’est un « pléonasme » : c’est dire, par exemple, « je monte en haut ». Eh bien, je vous pose la question : dire que Jésus monte au ciel, est-ce un pléonasme ? A vrai dire : où pourrait-il monter ? Il ne peut pas monter en bas, sur la terre ! Il ne peut monter qu’au ciel. Il monte, donc, en haut. Mais, alors, l’Ascension est-elle la fête du Pléonasme ? Et faut-il prier saint pléonasme pour que nous aussi, à la suite de Jésus, nous montions au ciel ? Bien sûr, je m’amuse un peu, mais, pourtant, ce que je dis est très sérieux. Il nous faut faire attention aux mots. Ils peuvent exprimer des choses très importantes, mais, parfois aussi, ils peuvent conduire à des contresens.

L’ Ascension ne s’ajoute pas à la Résurrection, comme si la Résurrection avait lieu sur la terre et l’Ascension dans le ciel. Ascension et Résurrection sont deux faces différentes, mais intimement unies, du même Mystère.

Une Résurrection sans Ascension, ce serait un Jésus encore terrestre, un Jésus redevenu vivant, mais comme avant - comme avant sa mort : un Jésus qui vivrait comme nous vivons, qui aurait besoin de manger et de boire, qui se coucherait le soir et se lèverait le matin, qui parlerait par bruits de bouche et serait absent de nos coeurs … A l’inverse, une Ascension sans Résurrection, ce serait Jésus limité à son âme, dont le corps aurait été abandonné à la terre, et qui n’aurait rien de plus que tous les saints qui sont auprès de Dieu. Il faut tenir ensemble - et bien tenir ! Résurrection et Ascension.

Mais, alors, pourquoi fêtons-nous à deux dates différentes la Résurrection et l’Ascension ? Pourquoi la Résurrection à Pâques et pourquoi, quarante jours après, le « jeudi » de l’Ascension ? Parce que ce chiffre de quarante est symbolique : il est le chiffre d’une traversée, d’un passage, comme pour les quarante années de l’Exode. Par la Résurrection, Jésus est passé de la mort à la vie. Par l’Ascension, Jésus est passé de la terre au ciel. Le premier jour et le quarantième jour sont comme les deux bords d’un même jour, d’un jour qui est un passage. De même Pentecôte, qui veut dire « cinquante », mais qui, en fait, correspond à un septénaire de semaines, sept fois sept jours, et qui signifie la Plénitude.

La fête des quarante jours signifie l’accomplissement du passage, la fête des sept semaines signifie l’accomplissement du Don : à Pâques, Jésus reçoit du Père le don de la Vie et à l’Ascension, il est reçu auprès du Père. A Pentecôte il donne l’Esprit.

Frères et sœurs, ne soyons donc pas comme les disciples, les yeux levés au ciel ! Mais, obéissons aux anges : saisissons dans son dynamisme le Mystère de Jésus.

Le Mystère de Jésus est celui de l’extrême proximité que Dieu a voulue avec l’homme, avec les hommes, avec chacun d’entre nous. Malheureusement, cette proximité, nous la disons avec des mots difficiles, abstraits, par exemple, le mot « incarnation » ou des expressions compliquées. Pour l’Eucharistie, nous parlons de « présence réelle ». Pour la mort de Jésus, c’est encore pire avec les mots « sacrifice » ou « rédemption ».

Même le mot « résurrection » est devenu abstrait. Nous en avons fait un vocable de catéchisme ! Pourtant, il désigne quelque chose de simple et de fort, quelque chose qui est très concret : on est couché, endormi dans la mort et quelqu’un s’approche, prend par la main, réveille et relève. C’est cela la « résurrection ». A l’inverse, le mot ascension » apparaît trop concret. Certains comprennent l’Ascension comme si Jésus avait pris l’ascenseur !

Je le répète, il nous faut donner aux mots toute leur force de vérité et, en même temps, toute leur force symbolique. Car, la foi n’est pas un simple réalisme, une affirmation sur de simples « choses ». Mais, elle n’est pas, non plus, une métaphore poétique ! Elle est portée par une réalité plus grande, plus englobante, plus profonde aussi, que la réalité mesurée, pesée, quantifiée.

Aujourd’hui, en célébrant l’Ascension du Seigneur, il est inutile de faire le film ! Jésus ne monte pas en haut ! Mais, il est indispensable de comprendre que Jésus en montant au ciel descend dans notre cœur, qu’en quittant la terre il s’approche de nos vies.

J’ajoute un mot : au milieu des disciples dans l’attente de l’Esprit Saint, Marie comprend cela : elle comprend que l’éloignement de son Fils conduit à un plus grand rapprochement avec lui, à l’intimité avec lui.