Homélie du Père Doumas

16 janvier 2021

Nous venons de lire le récit de la vocation des premiers disciples dans l’évangile de Jean. Dimanche prochain, nous lirons cette vocation des premiers disciples dans l’évangile de Marc. Ce sont deux récits complètement différents. Ils ont, chacun, leur finalité propre et il ne sert à rien de vouloir les harmoniser. Il faut, au contraire, saisir le message que transmettent les deux évangélistes qui rédigent selon leur propre compréhension de Jésus et de son ministère.

Il est très vraisemblable que les premiers disciples de Jésus ont été, d’abord, disciples de Jean Baptiste. Sans doute ne faisaient-ils pas partie du cercle des proches de Jean, mais ils ont participé au mouvement johannite. De même Jésus s’est mêlé, dans la plus grande discrétion, à la foule que Jean avait rassemblée et, peut-être, a-t-il alors eu contact avec certains de ceux qui deviendront ses disciples. Mais revenons au texte du quatrième évangile !

Jean Baptiste avait déclaré : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Et il avait rendu son témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre sur lui comme une colombe et demeurer sur lui ». Il avait ajouté : « C’est lui le Fils de Dieu ». Mais cela avait été dit anonymement, sans qu’aucun auditeur ne soit désigné. Le lendemain, à nouveau il voit Jésus, qui « allait et venait » dit le texte, mais cette fois il est avec deux de ses disciples et les deux disciples entendent. Du coup ils suivent Jésus. Se sentant suivi, Jésus se retourne et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Et ils répondent : « Rabbi, où demeures-tu ? » Alors il leur dit : « venez et vous verrez ».

Jésus n’est pas gêné d’être suivi et il n’y a aucun contrariété dans sa question : « Que cherchez-vous ? » On pourrait imaginer une remarque ou une autre question, mais ce « Que cherchez-vous ? » est naturel. Cependant, la question est de grande portée.

A nous aussi Jésus a été désigné et nous l’avons suivi. La décision de le suivre a, certainement, des motivations très mélangées, mais Jésus se retourne : se tourne vers nous et, dans le face à face il nous dit : « Que cherchez-vous ? » Oui, que cherchons-nous en suivant Jésus ? Des réponses à nos questions ? Une guérison à nos blessures ? Un pardon à cause de nos péchés ? Que cherchons-nous ?

Les disciples répondent par une question : « Où demeures-tu ? » C’est étonnant. Répondre à une question par une question. Et, par elle-même, la question n’est pas banale : « Où demeures-tu ? » En fait, les disciples cherchent à connaître Jésus. On peut même dire à le connaître intimement. C’est le sens du mot « demeurer ». Et Jésus répond à leur demande : « Venez et vous verrez ».

Bien entendu Jésus ne leur fait pas voir un local. Il ne leur fait pas une visite comme on peut le faire quand on reçoit chez soi et qu’on montre les différentes pièces de la maison. Mais, alors que voient les disciples ? Qu’est-ce que Jésus leur montre ?

L’évangéliste ne décrit rien. Il constate seulement : « Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là ». Il précise seulement : « C’était vers la dixième heure ». Ce qui ne nous renseigne guère ! En fait, le seul moyen que nous avons à notre disposition pour découvrir où Jésus demeure est l’évangile lui-même. Mais, l’évangile nous le dit, souvent et clairement. Jésus demeure dans le Père. Le Père est le « lieu » où Jésus « demeure ».

Jésus n’est jamais « hors » du Père, il est toujours « dans » le Père. Il n’y a entre eux ni distance ni séparation. Il y a communion parfaite et l’Eglise dira qu’il y a communauté de nature et distinction des personnes.

Cela fait de Jésus le parfait révélateur du Père. C’est ce qu’André, l’un des deux disciples qui a suivi Jésus et demeuré avec lui tout le jour, dira à son frère Pierre : « Nous avons trouvé le Messie ! »

Je retiens cela pour nous ! Et je vous invite à vous interroger.

Spontanément chacun de nous a une idée de Dieu. Je ne crois pas qu’aucun de nous ne l’imagine en vieillard barbu au-dessus des nuages, mais nous portons une image ou, plutôt, une idée de Dieu. Il est le Tout-Puissant, et donc le créateur et le juge. Il a communiqué sa volonté et il convient qu’à la volonté divine corresponde l’obéissance de l’homme. Selon les uns et les autres, les détails de cette volonté divine peuvent varier. Mais l’essentiel est là : faire sa volonté.

En décrivant les choses ainsi, je vous ai brossé, sommairement mais très réellement, un résumé de la foi musulmane. Car, nous sommes spontanément musulmans ! Certes nous ne nous l’avouons pas. De fait nous ne nous référons pas à Mahomet et nous n’appelons pas la loi divine « charia », mais l’idée d’un Dieu tout-puissant et juge est spontanée en nous et c’est le résumé de la foi musulmane. Du coup vous percevez l’importance qu’il y a à corriger cette image. Et, pour cela, il est nécessaire d’écouter Jésus qui va nous entrainer bien loin de cette image première et sommaire de Dieu.

Le décisif est l’affirmation chrétienne de la proximité de Dieu. Pour les chrétiens, Dieu n’est pas resté dans son ciel, se contentant de se pencher au balcon et de constater : « Houlala ! Ca va mal là-bas en bas ! » Il est venu, il est descendu. Il a prêché, bien sûr ! En se mêlant aux hommes, en se faisant l’un de nous et en acceptant la mort à laquelle les religieux de son temps l’ont condamné.

Etre chrétien, c’est accepter que Jésus déplace, corrige, renverse, bouleverse l’image que spontanément nous nous faisons de Dieu. Cela ne peut se faire que dans l’ouverture du cœur et de l’intelligence. Cela ne peut se faire que si, comme les disciples, nous demandons à Jésus : « Où demeures-tu ? » Et si nous passons du temps avec lui.