Homélie du Père Doumas

11 décembre 2020

Homélie du dimanche 13 décembre 2020

Cela a dû vous arriver. Vous voulez démancher un appareil, ou la pièce d’un appareil, et vous n’y arrivez pas. Souvent on s’énerve ! Cela m’est arrivé dernièrement avec un aspirateur. Et donc j’étais très contrarié jusqu’au moment où j’ai trouvé le déclic. Il était bien caché ! Mais, un déclic, dès qu’on le trouve, tout de suite ça marche : on démanche, alors, sans difficulté !

Si je vous parle de mon aspirateur, c’est parce que je voudrais vous parler du « déclic spirituel ».

Dans nos familles, dans notre entourage, il y a des gens qui se posent des questions, qui montrent un réel intérêt pour ce qu’on appelle « la religion ». On peut avoir avec eux des conversations intéressantes et profondes. Ils nous disent que cela leur fait du bien et, souvent, ils ajoutent que nous avons de la chance d’être croyants. Mais, pour ceux, ça ne fonctionne pas. Comme pour le manche de l’aspirateur, le déclic ne s’est pas fait ! Et tout reste bloqué.

Il est, bien sûr, inutile de s’énerver ou de les accuser de mauvaise foi. Il faut, au contraire, essayer de voir ce qui bloque.

Ce qui bloque est souvent à la fois évident et implicite, et donc quelque chose qu’on n’arrive pas à dire. Or, il y a beaucoup de choses en nous qui fonctionnent, mais sans que nous nous en rendions compte. C’est très vrai pour notre corps. Pour ainsi dire il marche tout seul. Je décide de courir ou de sauter, mais je ne décide pas de digérer. Il suffit que j’avale et mon système digestif se met au travail. Certes, c’est plus ou moins réussi, mais, en fait, cela dépend beaucoup de ce que je mange !

Mais ce qui est vrai pour notre corps est vrai aussi pour notre esprit. Il y a en nous beaucoup de raisonnements « implicites ». Nous pensons beaucoup de choses sans les raisonner « à voix haute », explicitement. En nous, dans notre esprit, le raisonnement est très réel et souvent très cohérent, d’une implacable logique, mais il se fait en nous sans nous le dire. Il nous livre seulement la conclusion, qui, dès lors, se présente comme une « évidence ».

Parmi ces évidences, il y a la certitude que Dieu n’existe pas ou qu’il ne peut pas exister ! En sorte que si vous demandez pourquoi,on vous dit ça, vous n’obtenez pas de réponse véritable. Pour avoir la véritable réponse, il faudrait avoir les moyens de remonter dans le raisonnement implicite qui y a conduit et cela est, pratiquement, impossible.

Si donc il y a cette évidence : « Dieu n’existe pas », elle ne va pas être renversée par un raisonnement, même très logique et rationnel. Vous pouvez être aussi rationnel que Pascal et aussi intelligent qu’Einstein vous n’y arriverez pas. L’évidence ne peut être vaincue que par une autre évidence. Et c’est pourquoi j’ai parlé de « déclic spirituel ».

Il faut permettre à l’autre de « voir » les choses autrement. C’est toute l’importance du témoignage. C’est ce que je voudrais développer maintenant. Car, il y a à la base de la foi une révolution du regard.

Spontanément, je me mets au centre du monde et je regarde le monde. Du coup, pour moi, le monde est un monde d’objets, de réalités que j’appréhende avec mes sens et mon intelligence, mais qui sont toujours hors de moi, à distance. Dieu peut être compris comme cela. Non pas exactement comme une chose parmi d’autres, - il est un objet trop particulier, trop singulier, pour cela - mais cependant, même compris comme le créateur du monde, il reste un « objet ». Or, la foi fait saisir Dieu, non plus comme un objet, mais comme un sujet.

Le décisif est là : lorsqu’on ne parle plus de Dieu, mais lorsqu’on parle à Dieu, lorsqu’on dit à Dieu : « tu ». Lorsque, très réellement, on lui parle comme on parle à un « sujet », à une « personne », à un être qui entend et comprend, qui écoute et réagit. Et, à ce moment-là, Dieu existe. C’est une « évidence » nouvelle !

Le grand principe du témoignage n’est pas de dire simplement : « je vis ceci, je vis cela, je crois en ceci, je crois en cela. » Le grand principe du témoignage c’est de dire : « Fais comme moi ! Lâche-toi ! Ose te lancer et parle à Dieu ! »

Dieu peut être une idée, c’est-à-dire une fabrication humaine. Pour beaucoup il sera plutôt une bonne idée, qui aide les gens dans leur vie, pour certains il sera, à l’inverse, une mauvaise idée, quelque chose de pervers et d’aliénant. Marx disait : « l’opium du peuple ! » Mais, bonne ou mauvaise idée, Dieu n’est, alors, qu’une idée et ainsi ce n’est pas Dieu qui crée l’homme, mais l’homme qui crée Dieu. Pour beaucoup d’autres, Dieu est une force. Une force très puissante qui anime le monde, qui lui donne son dynamisme et sa cohérence, une force, par exemple, qui crée la vie et la fait se déployer. Dieu existe donc, il n’est pas une simple idée, mais il est une force qui reste anonyme et lointaine. Une force inaccessible et qui ne cherche pas nous atteindre et que nous ne pouvons pas atteindre. On dira donc : « Dieu existe, mais je ne peux pas le joindre. » Mais il y a une troisième affirmation : « Dieu est une personne ». Il a créé le monde : les galaxies et les dinosaures ! Mais il est, aussi, la source de mon existence et donc, parce qu’il est à l’origine de ma vie, il s’adresse à moi et je peux m’adresser à lui et nous pouvons, ainsi, construire, lui et moi, une véritable relation. Tout est alors différent, mais cela suppose la révolution dont je parlais : Dieu n’est plus un simple objet, mais il est « sujet » et un sujet bien plus sujet que moi, un « Je » bien plus vivant et interpellant que moi.

Quand on « réalise » Dieu, quand on ne parle plus de Dieu, mais que l’on parle à Dieu, quand il n’est plus « objet », mais « sujet », cela se produit parce qu’il y un déclic, parce qu’on a trouvé le « truc » qui démanche l’aspirateur ! Et c’est alors que l’on comprend que si, dans une certaine mesure, on était en recherche de Dieu, c’était, en fait, Dieu qui était en recherche de nous. Et ainsi tout s’ouvre et tout découle. La porte de la foi s’est ouverte et on entre dans le jardin, puis dans le palais du Roi. Amen