Homélie

3 mai 2019

Généralement on n’a pas besoin de distinguer entre le rédacteur d’un texte et l’éditeur du texte, entre celui qui rédige le texte et celui qui prend soin de l’éditer, de le diffuser. Mais, c’est le cas pour le quatrième évangile. Tous les exégètes distinguent entre le rédacteur du texte, qui est celui que l’évangile appelle « le disciple que Jésus aimait », et des collaborateurs du disciple, qui ont édité le texte après sa mort. Ces rédacteurs ont ajouté un épilogue au texte du disciple. C’est le texte que nous venons de lire : le chapitre 21 de l’évangile que nous lisons.

Dans le texte du disciple, l’évangile se concluait par l’apparition à Thomas, par la béatitude du croyant : « Heureux celui qui croit sans avoir vu ». Comme l’apparition aux disciples le soir de Pâques, l’apparition à Thomas avait eu lieu à Jérusalem. Mais, ici, dans l’épilogue, qui raconte « la troisième » apparition de Jésus, on n’est plus à Jérusalem, mais en Galilée, sur les bords du lac.

Assez naturellement Pierre décide de pêcher. Et, spontanément, les autres disciples l’accompagnent. Ils vont jeter les filets toute la nuit sans rien prendre. Mais, voilà qu’au petit matin, « au lever du jour » dit l’auteur, Jésus se tient sur le rivage et les interpelle en leur disant : « Auriez-vous quelque chose à manger ? » Bredouilles, après une nuit infructueuse, ils répondent : « Non ! » Alors Jésus leur donne l’ordre de jeter à nouveau le filet et cette fois la pêche est surabondante.

Dans le langage du quatrième évangile, il s’agit d’un « signe », que tout de suite le disciple que Jésus aimait interprète. Il dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Et, immédiatement, Pierre se jette à l’eau pour rejoindre Jésus.

Le texte rapporte un détail étonnant : « Il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui ». Le grec dit même « gumnos » : il était nu. On a du mal à comprendre cette nudité, pas très confortable pour quelqu’un qui pêche ! Mais, que Pierre mette un vêtement signifie son respect pour Jésus.

On ne nous dit pas comment Pierre aborde le rivage. En revanche, on précise que les autres disciples, arrivés en barque, tirent le filet plein de poissons. Et là le texte devient très paradoxal.

Il est dit que les disciples découvrent un feu de braise avec du poisson posé dessus et du pain. Puis, plus loin, que Jésus leur dit : « Venez manger ». Et Jésus prend le pain et le leur donne et « de même pour le poisson ». Le Ressuscité nourrit donc ses disciples ! Et, avec le pain, l’action a une dimension eucharistique.

Cependant, inséré dans cette rédaction, il y a l’ordre de Jésus : « Apportez de ces poissons que vous venez le prendre ». Pierre prend l’initiative de sortir le filet de la barque. C’est à ce moment qu’on précise qu’il s’agit de gros poissons. On dit même leur nombre : « cent-cinquante-trois ! Peut-être cela a-t-il une signification, mais elle reste cachée. On n’a jamais produit une interprétation valable de ce chiffre. Mais, il y a un autre détail : « malgré cette quantité le filet ne s’était pas déchiré ».

Le filet qui ne se déchire pas est une image de l’Eglise, qui reste une. On repense au vêtement de Jésus que les soldats tirent au sort, mais ne déchirent pas.

On voit donc que le texte est surchargé ; il y a l’idée que Jésus nourrit ses disciples, il n’a pas besoin de leur pêche pour avoir du poisson ! Mais, en même temps, on souligne le caractère pleinement satisfaisant de cette pêche.

Cependant, dans les interstices du texte, se loge un autre thème. L’auteur écrit : « Aucun des disciples n’osait lui demander : Qui es-tu ? Ils savaient que c’était le Seigneur. » Cela signifie que Jésus ressuscité est parfaitement reconnaissable : « Ils savaient que c’était le Seigneur », mais, en même temps, il est différent d’avant : « Aucun des disciples n’osait lui demander Qui es-tu ?

Au total, nous lisons un texte complexe, qui orchestre de multiples thèmes. Mais, par-delà l’analyse qu’on peut en faire, quelle signification peut-il avoir pour nous ?

Je vous propose de retenir le thème du repas. On le trouve, très développé, dans l’évangile de Luc, avec le grand récit des disciples d’Emmaüs. Mais, ici aussi, il est de première importance.

Frères et sœurs, nous n’avons pas vu le Seigneur ressuscité. Nous sommes de ceux qui sont « heureux » de croire « sans avoir vu ». Cependant, comme le disciple que Jésus aimait et comme Pierre qui se jette à l’eau, nous sommes invités à reconnaître Jésus ressuscité et nous le reconnaissons dans l’Eucharistie. Il est présent et cependant voilé. Mais, nous aussi, nous savons que c’est le Seigneur.

Le Verbe s’est fait chair et le Ressuscité se fait pain. Il n’est pas le simple témoin d’une victoire sur la mort, il veut nous faire participer à sa vie ! C’est cela l’Eucharistie. Elle est, pour ainsi dire, l’incarnation du Ressuscité. Et c’est bien pour cela que nous disons, à propos de ce pain : « C’est le corps du Christ ». Frères et sœurs, que notre « amen », comme dimanche dernier notre « Mon Seigneur et mon Dieu », manifeste la vérité de notre foi et la force de notre amour pour Jésus. Amen !