Homélie

5 juin 2020

Je voudrais dans cette homélie du dimanche de la Trinité expliquer à grands traits les données de base sur ce que nous, les chrétiens, nous disons de Dieu.

La première chose est que nous sommes monothéistes. Souvent les musulmans et, aussi, les juifs ne le reconnaissent pas, mais c’est, en réalité, la donnée de base, sur laquelle s’appuie le mystère trinitaire. Et c’est pourquoi il est bon d’en dire quelques mots.

Il y a ce que j’appelle « l’histoire biblique », c’est-à-dire ce que raconte la Bible, le texte biblique. Mais, la Bible, comme tout texte, qu’il s’agisse de l’« Iliade » et de l’« Odyssée » ou de « la Guerre des Gaules » de Jules César, la Bible a été soumise à l’impitoyable critique historique de la période moderne. Par exemple, plus aucun historien n’imagine le royaume de David-Salomon comme la Bible le décrit. Et cela affecte la question du monothéisme.

Israël n’est pas né monothéiste, il l’est devenu. Au départ, les grandes figures de la tradition sont « monolâtres ». Pour les Hébreux, Dieu n’est pas le Dieu unique, mais leur unique Dieu. Mais ce Dieu a des caractéristiques très particulières, il n’a pas de « parèdre » féminine, d’épouse ou de concubine, il n’a ni parents, ni enfants. C’est un Dieu solitaire. Il s’occupe d’Israël, il intervient dans ses affaires. C’est ainsi qu’il le protège contre ses ennemis. Il lui donne aussi une Loi, qui précise le rituel des sacrifices, mais qui est, aussi, une loi morale et sociale. Le grand commandement est double : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cette dimension morale de la religion est une invention de la Bible. En Orient, en Grèce ou à Rome, il n’y a pas de lien entre morale et religion. Il y a seulement un dieu de la guerre et une déesse de l’amour. Mars et Venus pour parler latin.

L’unique Dieu d’Israël avait tout pour devenir le Dieu unique, mais il l’est devenu. Ce sont les grands événements du VIe siècle qui ont fait accéder au monothéisme. Des hommes comme Jérémie, Ezékiel ou celui que l’on appelle le « second Isaïe », méditant sur la succession des empires du Moyen Orient : l’Assyrie, Babylone, puis la Perse - il y aura ensuite Alexandre et Rome, comprennent que leur Dieu conduit l’histoire mondiale et en concluent que les dieux des nations n’existent pas, qu’il n’y a qu’un Dieu. Et qu’Israël est le peuple « élu », choisi par amour.

En fait, le monothéisme ne consiste pas à dire qu’il n’y a qu’un Dieu, mais que Dieu n’est pas un dieu. Que Dieu n’a rien de commun avec les divinités du paganisme, avec le dieu de la guerre et la déesse de l’amour, qu’il est transcendant et éternel et qu’il est donc, aussi, le Créateur, qu’il est à l’origine du monde, de tout ce qui existe. Le texte de la création en six jours avec le septième jour où Dieu se « repose » a été rédigé à cette époque par un grand théologien, qu’on appelle le « sacerdotal ».

Les Juifs avaient été déportés en Mésopotamie par les Babyloniens au début du VIe siècle, ce sont les Perses qui, à la fin du VIe siècle, les ont autorisés à revenir sur leur terre, à rebâtir Jérusalem et à reconstruire le Temple et c’est dans ce contexte que s’affirme de manière décisive la foi biblique et que tous les textes de la tradition sont remaniés et que beaucoup sont écrits.

Au temps de Jésus, le monothéisme est la grande caractéristique du peuple juif. C’est ainsi que les Juifs refusent radicalement d’offrir des sacrifices aux dieux païens et à l’empereur. Ils sacrifient pour l’Empereur, mais pas à l’Empereur. Et, de fait, les Romains admettent cela, ce qu’on appelle la « lex judaïca ». Qui, bien entendu, a son corolaire financier ; c’est le fameux impôt dû à César.

Mais, avec Jésus, le monothéisme biblique va connaître une profonde transformation. Le Dieu d’Israël est un Dieu proche de son peuple, mais il reste un Dieu transcendant. Quand Jésus prie, il utilise le terme, très familier, de la langue de tous les jours, « abba », qu’on traduit, non pas par « père », mais par « papa ». Appeler Dieu « papa » était inconcevable dans la mentalité juive ! Ainsi Jésus apparaît comme un fils, qui est le Fils. Très tôt les chrétiens diront que Jésus est le Christ, Messie promis et attendu, et le Fils de Dieu. Par ailleurs, la première communauté a fait l’expérience de l’Esprit Saint, qui n’est pas une « chose » de Dieu, mais un sujet particulier, distinct. Éminemment actif ! Nous venons de fêter cela avec la fête de Pentecôte.

Bien entendu, il faudra du temps et beaucoup d’efforts théologiques pour aboutir à la synthèse théologique de ce que nous appelons le « dogme » trinitaire. Cependant, les acquis décisifs viennent très tôt. Si dans le récit de Pentecôte, les apôtres répondent : « Faites-vous baptiser au nom de Jésus », dans la finale de l’évangile de Matthieu il est dit : « Baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » et , dès le second siècle, les Pères de l’Eglise ont une conscience très vive que la foi chrétienne est une foi trinitaire.

L’affirmation trinitaire nous fait pénétrer « en » Dieu. Elle révèle que si Dieu est unique, il n’est pas solitaire. Cette « complexité » divine manifeste le mystère et donne à comprendre que Dieu est amour. Comment serait-il amour s’il était seulement unique ? Mais, ce qu’on appelle le « dogme » trinitaire permet aussi le déploiement de l’incarnation. C’est le Fils qui s’incarne, c’est le Verbe qui se fait chair. Le texte de l’évangile d’aujourd’hui le dit magnifiquement : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. »

La Trinité n’est pas un casse-tête, une énigme insoluble, une spéculation abstraite. C’est tout le contraire ! Elle met de la couleur en Dieu, de la diversité vivante. Et je vous invite à dire très tranquillement, sans complexe : « Nous, les chrétiens, nous sommes monothéistes » - et, de fait, si Dieu existe, il est forcément unique ! Et, en même temps, à donner de la personnalité aux personnes divines, du relief à leur identité. Le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père et l’Esprit Saint n’est pas le petit dernier de la Trinité ! Je vous invite à « colorier » la Trinité et à vous réjouir de ce Dieu unique et multicolore ! Amen.